Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le gouvernement lui avait attribuées, et qui, du reste, lui déplaisaient… Mais, immédiatement après notre conversation, Skoropadsky se rendit au Grand Quartier Général, d’où partit, à l’adresse de mon état-major, l’ordre de travailler à l’ « ukrainisation » rapide du 34ème corps.

Quant aux nouveaux régiments polonais, le problème se présentait un peu autrement. Le Gouvernement Provisoire ayant proclamé l’indépendance de la Pologne, tout de suite les Polonais s’estimèrent « étrangers ». De fait, des formations militaires polonaises existaient depuis longtemps sur le front Sud-Ouest. Il est vrai qu’elles étaient en pleine désorganisation (à l’exception des uhlans). Le gouvernement qui avait accordé son autorisation aux Ukrainiens, ne pouvait la refuser aux Polonais. Enfin les puissances centrales s’étant décidées à octroyer à la Pologne une apparence d’indépendance, grâce aux bons offices de l’intendance, envisageaient aussi la création d’une armée polonaise… ce projet échoua, du reste. L’Amérique, à son tour, avait formé des régiments polonais, en territoire français.

En juillet 1917, le Grand Quartier Général chargea le front Sud-Ouest, où je commandais en chef, de créer un corps polonais. Je mis à la tête du nouveau corps le général Dovbor-Moussnitsky ([1]), qui commande aujourd’hui l’armée polonaise de Posnanie. Officier énergique, résolu, il avait lutté sans tergiverser contre la désorganisation des troupes russes et le bolchevisme qui s’y développait. En peu de temps, il forma des régiments qui n’étaient peut-être pas absolument sûrs, mais qui se distinguaient de l’armée russe par leur discipline et par leur bon ordre. Et c’était bien l’ancienne discipline, supprimée par la révolution — sans meetings, sans commissaires ni comités. Aussi ces régiments furent tout autrement considérés par l’armée, tout hostile qu’elle fût, en principe, à la nationalisation. Après la dissolution des formations révoltées, le nouveau corps s’enrichit de leur matériel. Grâce aux bons offices de l’Intendance, il fut pourvu de munitions en abondance. Officiellement, les effectifs du corps polonais se recrutaient de la manière suivante : pour les officiers, par voie de mutation, sur leur demande ; quant aux simples soldats, c’étaient des engagés volontaires ou des hommes de la réserve. Mais en réalité, là aussi on vit se produire la même incoercible débâcle ! Les soldats polonais fuyaient le front pour les mêmes raisons que les Russes — et les rangs de l’armée s’éclaircissaient toujours davantage.


Voilà pourquoi les régiments polonais ne nous furent d’aucune utilité. Eu juin déjà, au congrès des troupes polonaises, on acclama, à la presque unanimité, des discours fort clairs, où le but des nouvelles formations était nettement défini : « La guerre touche à sa fin, tout le monde le sait. Il nous faut une armée, non pas pour

  1. Il avait auparavant commandé le 38ème corps.