Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/288

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au nom de la Patrie, tous ceux qui, dans ces jours troublés, ne veulent pas permettre que la vie soit déchirée.

« Recevez donc les adieux d’un vieux soldat, votre ex-généralissime.

« Et gardez-moi un bon souvenir !

Général ALEXÉIEV. »


Avant notre séparation, mes relations avec le général Alexéiev étaient devenues très cordiales ; au moment de partir, il me dit :

« Toute cette organisation nouvelle s’écroulera bientôt sans aucun doute ; nous devrons nous remettre au travail. Consentirez-vous, Antoine Ivanovitch, à collaborer de nouveau avec moi ? »

Je lui en donnai l’entière assurance.

Depuis la nomination du général Broussilov, le Grand Quartier Général perdit définitivement toute personnalité, toute sa conduite fut modifiée. L’opportunisme de Broussilov, effréné autant qu’inexplicable, son appétit de popularité révolutionnaire, privèrent le corps des officiers de l’appui moral que lui prêtait le Grand Quartier antérieur.

Mohilev fit au nouveau généralissime un accueil singulièrement sec et froid. Au lieu des ovations enthousiastes auxquelles le « général révolutionnaire » était habitué, lui que la foule avait promené par les rues de Kamenetz – Podolsk, assis dans un fauteuil rouge — il trouva la gare déserte et une réception strictement officielle. Visages fermés, discours conformes au protocole. Les premières démarches de Broussilov, épisodes sans importance, mais caractéristiques, nous rendirent encore plus tristes. Tandis qu’il passait en revue sa garde d’honneur, composée de chevaliers de Saint-Georges, il évita de saluer leur héroïque commandant, un brave couvert de blessures, le colonel Timanovsky et les autres officiers, mais il s’arrêta pour serrer longuement la main à deux des soldats. Ceux-ci furent tellement surpris et gênés d’être ainsi salués par leur chef, sur les rangs, qu’ils en laissèrent choir l’arme qu’ils présentaient… Il me remit son premier ordre du jour aux armées, écrit de sa main, pour l’envoyer… à Kérensky, aux fins de le faire approuver préventivement…. Dans son discours aux officiers du Grand Quartier Général réunis pour faire leurs adieux au général Alexéiev, Broussilov essaya de justifier sa conduite — oui, je dis bien : justifier — comment qualifier autrement ses explications équivoques touchant la faute dont il avait chargé sa conscience : celle d’avoir parfait la « démocratisation de l’armée » en collaboration avec Kérensky et les comités. Et quel contraste il y avait entre ces paroles et les termes de l’écrit, dont on donna lecture à la suite, et où les officiers adressaient leurs adieux au chef qui les quittait :

« Votre nom demeurera éternellement pur et sans tache. C’est