Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/312

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conservation prit le dessus et la démoralisation s’est manifestée pleinement.

« Dix divisions à peu près, refusaient d’occuper les positions désignées en vue de l’offensive : cela a exigé des efforts inouïs de la part des chefs de tous grades, des comités, des agitateurs ; cela a exigé d’interminables supplications, des exhortations, des conseils… Pour qu’il me fût possible d’agir avec fermeté, j’ai dû, coûte que coûte, diminuer le nombre des troupes en révolte. C’est ainsi que s’écoula environ un mois : certaines divisions, il est vrai, exécutaient les ordres de combat. Mais le 2ème corps du Caucase et la 169ème division d’infanterie étaient en complet désarroi. Certaines troupes n’avaient plus figure humaine, non seulement au moral, mais au physique même. Je n’oublierai jamais l’heure que j’ai passée au milieu du 703ème régiment de Souram. Dans les régiments il y avait de huit à dix fabriques clandestines d’eau-de-vie : partout, on ne voyait qu’ivrognerie, jeux de hasard, rixes, vols, voire assassinats.

« J’ai pris une mesure extrême : j’ai ramené à l’arrière le 2ème corps du Caucase (sans la 51ème division d’infanterie) et en ai ordonné la dissolution, en même temps que celle de la 169ème division d’infanterie. Par conséquent, au début même des opérations, je retranchais de mes armées 30.000 baïonnettes, avant le premier coup de fusil.

« Je dirigeai sur le secteur des Caucasiens la 28ème et la 29ème divisions d’infanterie qui passaient pour les meilleures de tout le front… Et voilà que la 29ème ayant atteint les tranchées à marches forcées, se retira le lendemain dans sa presque totalité (deux régiments et demi) ; la 28ème fit descendre en tranchées un seul régiment, qui décida sans appel de ne pas attaquer.

« Tout ce qu’il était possible de faire pour relever le moral des troupes a été fait.

« Le généralissime est venu sur le front, lui aussi, après avoir causé avec les comités et les représentants de deux corps, il avait eu l’impression que « les soldats étaient bien disposés, mais que les chefs avaient peur et perdaient la tête ». C’est faux. Les chefs, au milieu de difficultés incroyables, ont fait tout ce qu’ils pouvaient. Mais Monsieur le Généralissime ignore que le meeting du premier corps sibérien où son discours avait soulevé les applaudissements les plus enthousiastes, a continué après son départ… De nouveaux orateurs y ont pris la parole pour inviter les soldats à ne pas écouter « le vieux bourgeois ». (Je m’excuse, mais je dis la vérité — Interruption de Broussilov : « Je vous en prie… ») Et ont accompagné son nom des jurons les plus orduriers. Les violences de ces orateurs ont, elles aussi, soulevé un tonnerre d’applaudissements.

« Le Ministre de la Guerre, en tournée sur le front, qui, par ses discours inspirés, avait appelé les troupes au sacrifice, fut reçu avec enthousiasme par la 28ème division. Mais, au moment où il reprenait son train, une députation d’un des régiments est venue lui annoncer