Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/319

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ces quatre derniers mois. Ceux qui les ont désagrégées, ce sont des gens qui étaient, peut-être, par une ironie du destin, d’honnêtes idéalistes, mais qui ignoraient la vie, les mœurs de l’armée et les bases historiques de son existence.

Au commencement, cela s’est produit sous la pression du Soviet des députés ouvriers et soldats, institution nettement anarchique à ses débuts. Puis cela s’est transformé en système funeste et fatal.

Immédiatement après sa nomination, le ministre de la guerre m’a dit :

— Le pays et l’armée sont maintenant révolutionnés. Place au travail créateur !…

Je me suis permis de répondre :

— Il est un peu tard… »

Ici, le général Broussilov m’interrompit :

— Antoine Ivanovitch, veuillez abréger votre rapport, sinon la conférence sera trop longue.

Je compris : il ne s’agissait pas de l’étendue de mon rapport, mais bien de sa matière qu’on jugeait risquée. Je répondis :

— La question que j’ai soulevée est, à mon avis, d’une portée immense. Je demande la permission d’exprimer ma pensée jusqu’au bout — sinon je terminerai là mon discours.

Le silence régnait. J’y vis l’autorisation de continuer. Je repris :

« La déclaration des droits du soldat fut promulguée. Tous les chefs militaires, sans exception, y virent la ruine de notre force. L’ex-généralissime Alexéiev télégraphia ces mots : « cette déclaration est le dernier clou que l’on plante dans le cercueil préparé pour l’armée russe ». L’ex-commandant en chef sur le front sud-ouest, le général Broussilov, a déclaré, ici même, à Mohilev, à la conférence des commandants en chef : « Il est encore possible de sauver nos troupes et de les pousser même à l’offensive, mais à une condition : l’abolition de cette déclaration ».

Personne ne voulut nous écouter.

Le § 3 autorise les soldats à énoncer librement et sans détours leurs opinions politiques, religieuses, sociales et autres. La politique inonda l’armée.

Les hommes de la 2ème division de grenadiers du Caucase, qu’on venait de dissoudre, s’écriaient avec un étonnement qui n’était pas simulé : « Pourquoi cette sévérité ? On nous a permis de dire tout ce que nous voulions, partout où nous désirions parler — et maintenant on nous chasse ! » Ne pensez pas que cette interprétation trop vaste des « libertés » soit particulière à la masse inculte. Quand la 169ème division d’infanterie se désagrégea moralement et que ses comités exprimèrent au gouvernement provisoire, dans une forme violente à outrance, leur défiance et leur décision de ne pas attaquer, je donnai l’ordre de la dissoudre. Mais je me heurtai à une difficulté