Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/320

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imprévue : les commissaires estimaient qu’il n’y avait pas faute commise ; il était licite de tout dire, verbalement ou par écrit ; il aurait fallu, pour sévir, constater que des ordres de combat n’avaient, en réalité, pas été exécutés.

Le § 6 ordonne que tous les imprimés, sans exception, soient remis à leurs destinataires. Une vague de libellés rédigés par des bandits (les bolcheviks) et d’écrits défaitistes submergea l’armée. Cette littérature devint la nourriture spirituelle de nos hommes, aux frais de l’État et de la fortune nationale : on en trouve la preuve dans la comptabilité du « bureau militaire de Moscou » qui, à lui seul, procura aux soldats :

Du 24 mars au 1er mai : 7.972 exemplaires de la « Pravda », 2.000 exemplaires de la « Soldatskaïa Pravda », 30.375 exemplaires du « Socialiste-démocrate », etc.

Du 1er mai au 11 juin : 61.525 exemplaires de la « Soldatskaïa Pravda », 32.711 exemplaires du « Socialiste-démocrate », 6.999 exemplaires de la « Pravda », etc.

Cette même littérature fut dirigée sur les villages par l’intermédiaire des soldats ([1]).

Le § 14 établit qu’aucun militaire ne peut être puni sans jugement. Cette « liberté » n’intéressait que le soldat, naturellement — les officiers, comme par le passé, étaient toujours menacés de ce châtiment suprême : la révocation.

Qu’arriva-t-il ?

L’administration supérieure de la justice militaire, sans même prévenir le Grand Quartier Général, demanda aux tribunaux, avant leur démocratisation, de suspendre l’exercice de leurs fonctions — à l’exception des affaires d’une exceptionnelle gravité, la trahison, par exemple. On enlevait aux chefs leur autorité disciplinaire. Les conseils de discipline cessèrent de fonctionner, ou bien on les mit à l’index (on ne fit plus d’élections).

La justice disparaissait définitivement de l’armée.

Ce boycottage des conseils de discipline et ce refus d’une unité (constaté par un rapport) d’élire des jurés, sont significatifs. Le législateur peut se heurter à des faits semblables dans l’organisation des nouveaux tribunaux militaires révolutionnaires. Dans les régiments qui refuseront l’élection, il faudra instituer des jurés désignés par le gouvernement.

Le résultat de toute une série d’actes législatifs a été la ruine de l’autorité et de la discipline. On se moque des officiers : on leur a clairement exprimé défiance et mépris.

On chasse comme des laquais les chefs militaires, y compris les généralissimes.

Dans un de ses discours sur le front nord, le ministre de la

  1. Compte-rendu du journal Le Front, n° 25.