Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/332

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prendre l’énigme des rapports qui s’établirent dans la suite entre les généraux Alexéiev et Kornilov.

Ce dernier trouva la 8ème armée — il l’a dit lui-même, en complète décomposition. « Pendant deux mois, déclare-t-il, j’ai dû, presque chaque jour, me mêler aux troupes, expliquer aux soldats la nécessité de la discipline, encourager les officiers, démontrer aux hommes l’urgence d’une offensive… J’ai acquis à ce moment la conviction qu’il fallait, pour enrayer la désorganisation de notre armée, des mesures décisives et des chefs énergiques. Officiers et soldats attendaient cette intervention décidée. Parmi eux, tous ceux qui comprenaient la situation étaient fatigués de l’anarchie qui régnait » (1).

Nous avons déjà vu — au chapitre XXI — ce que furent les tournées d’inspection de Kornilov. A-t-il réussi à éveiller la conscience dans la masse des soldats ? — je ne le crois guère. Pour la 8ème armée, le Kalouche du 28 juin et le Kalouche du 8 juillet nous montrent, avec la même netteté, l’un, le visage du héros, l’autre, celui de la brute. Cependant, parmi les officiers et dans le petit groupe des vrais soldats, le prestige du général grandissait de jour en jour. Il grandissait aussi dans l’opinion des milieux russes étrangers au socialisme. Aussi quand le général Goutor qui avait été élevé au poste extrêmement important de commandant en chef du front sud-ouest pour l’unique motif qu’il n’était pas réfractaire à la démocratisation de l’armée s’était, après la déroute du 6 juillet, effondré accablé, désespéré, le seul qui pût prendre sa place fut Kornilov (nuit du 7 au 8 juillet).

… Mais le spectre du « général monté sur un cheval blanc » flottait déjà dans l’air et hantait les cerveaux.

Broussilov s’opposa vivement à cette nomination. Kérensky hésita un instant. Mais la situation était désespérée  ; Kornilov était hardi, courageux, sévère, ferme, indépendant  : il ne reculerait devant aucune mesure urgente, devant aucune responsabilité. Kérensky (2) estimait que les qualités de Kornilov, si dangereuses au cas d’une victoire, pouvaient, au cours de la déroute, rendre d’éminents services. Du reste, quand le maure a fini sa tâche (3), il n’est pas difficile de le congédier… Et Kérensky insistait pour que Kornilov fût nommé commandant en chef du front sud-ouest.

Trois jours après sa nomination, Kornilov télégraphia au gouvernement provisoire : « Si le gouvernement ne contresigne pas les mesures que je propose et me refuse les moyens de sauver l’armée et de l’employer à la défense de la Patrie et de la liberté, ce qui est sa destination réelle, je déclare que moi, le général Kornilov,