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Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/336

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formulées essuieraient un refus, d’instituer la dictature militaire sur le front Sud-Ouest (1) ». Les conseils de Savinkov l’emportèrent. Kornilov consentit même à écarter Zavoïko : il le fit conduire hors de la zone des armées — mais, bientôt, il le rappela.

J’ai connu tous ces détails dans la suite. Pendant les événements que je raconte, je me trouvais encore à Minsk, plongé dans un travail intense : il ne s’agissait plus d’organiser une offensive, mais de défendre de mon mieux le front à demi effondré. Je n’avais aucun renseignement, il ne m’arrivait même aucune rumeur touchant ce qui se passait dans les hautes sphères de l’administration et de l’autorité militaire. Mais je sentais bien que dans tous les rapports exigés par le service, le pouls battait impétueusement.

* * *


À la fin de juillet, le Grand Quartier Général m’offrit, à ma très grande surprise, le poste de commandant en chef du front sud-ouest. Je m’adressai, par le télégraphe, au général Loukomsky, chef d’état-major du généralissime : j’étais prêt à exécuter l’ordre qu’on me donnait, j’irais où l’on voudrait, mais j’aurais désiré connaître les motifs de ce changement. S’ils étaient d’ordre politique, je demandais instamment qu’on me laissât à mon poste actuel. Loukomsky m’affirma que, seule, l’importance considérable du front sud-ouest au point de vue stratégique avait déterminé Kornilov à m’y envoyer. On y projetait des opérations actives. La nomination se fit.

Je me séparai, tristement, de mes collaborateurs ; mais j’emmenai mon ami, le général Markov. En passant, je m’arrêtai à Mohilev. Au Grand Quartier général, l’atmosphère était surchauffée : partout régnaient l’animation et l’espérance, mais rien ne donnait l’impression d’une conspiration perpétrée dans le mystère. D’ailleurs, en ces matières, les officiers du Grand quartier étaient extrêmement inexpérimentés, extrêmement naïfs ; un peu plus tard, quand on commença réellement à conspirer, le « complot » était tellement évident qu’il eût fallu être aveugle pour n’y rien voir, sourd pour n’y rien entendre.

Le jour de notre arrivée au Grand Quartier, Kornilov avait réuni tous ses chefs de département : on devait discuter le « programme Kornilov » élaboré en vue de réorganiser l’armée. Je fus invité à cette conférence. Je n’énumérerai pas les propositions fondamentales du programme — déjà exposées par moi et aussi dans les dépêches impérieuses de Kornilov. C’étaient, par exemple, l’institution de tribunaux militaires révolutionnaires et de la peine de mort à l’arrière, le rétablissement du pouvoir disciplinaire des chefs, le relèvement de leur autorité, la limitation de la compétence pour les Comités qu’on rendrait, de plus, responsables, etc.