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Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/357

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qu’aucun intérêt personnel ne me guide, je ne veux que le salut de la grande Russie. Je jure de conduire le peuple, par la voie de la victoire, jusqu’au seuil de l’Assemblée Constituante, où il pourra, lui-même, décider de ses destinées et de la forme de son futur gouvernement.

Abandonner la Russie à sa mortelle ennemie, la race germaine, asservir le peuple russe aux Allemands — je ne puis m’y décider. J’aime mieux mourir au champ d’honneur que voir cette honte et cette infamie.

Peuple russe ! Le sort de ta Patrie est dans tes mains ! »

Cet ordre du jour fut porté à la connaissance des chefs d’armée. Le lendemain arriva une dépêche de Kérensky : elle était adressée au commissariat. Depuis ce moment-là toute communication fut coupée entre le monde et nous ([1]).

Ainsi le dé était jeté. Entre le gouvernement et le Grand Quartier Général s’était creusé un abîme qu’on ne pouvait plus franchir.

* * *


Le lendemain 28 août, les institutions révolutionnaires déployèrent une fiévreuse activité : on voyait que, décidément, on n’avait rien à redouter à Jitomir. Jordansky s’octroya « le pouvoir militaire », procéda à une série d’arrestations inutiles parmi les officiers supérieurs de l’intendance générale et lança un appel, qu’il signa, en son propre nom, au nom des organisations révolutionnaires et au nom du commissariat de la province. Il y exposait, avec force détails et dans le style spécial des proclamations, les intrigues du général Dénikine, tendant à « restaurer l’ancien régime et à spolier le peuple russe de la Terre et de la Liberté ».

Cependant, à Berditchev, régnait une activité toute pareille : le Comité du front la dirigeait. Tous les groupes siégeaient en permanence ; on travaillait certaines troupes venues de l’arrière et marquées de tous les stigmates des garnisons. Le Comité lançait contre moi une nouvelle accusation : « Le général Dénikine, commandant en chef, a voulu renverser le gouvernement provisoire et remettre Nicolas II sur le trône ». On répandait, en abondance, parmi les troupes, des proclamations rédigées dans cet esprit ; on en affichait aux murs ; des automobiles en distribuaient par la ville. La nervosité croissait ; la rue s’agitait. Les membres du Comité, dans leurs relations avec Markov, se montraient toujours plus exigeants, toujours plus insolents. On nous annonça que des émeutes avaient éclaté sur le Mont Chauve ([2]). L’état-major y envoya

  1. Le 29, au matin, une dépêche du général-quartier-maître du Grand Quartier nous arriva encore, par hasard. L’espoir d’un dénouement pacifique, de nouveau, s’y exprimait.
  2. Faubourg de Berditchev.