Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/375

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une entière reconstruction. Mais les moyens manquent ; en attendant le moment de la reconstruction (Assemblée Constituante), les architectes commencent par retirer les solives pourries dont quelques-unes ne sont pas remplacées ; d’autres le sont par des poutres légères ; d’autres encore sont étayées par une charpente neuve sans armature ; — ce dernier procédé est le pire. Et la maison s’effondre.

Pourquoi toutes ces disparates dans la construction ? En voici les raisons : premièrement, les partis politiques n’avaient pas de plan d’ensemble bien étudié. Toute leur énergie, tout l’effort de leur pensée et de leur volonté, tendaient surtout à détruire le régime précédent. Car on ne peut voir un plan réalisable dans les esquisses que présentent les programmes abstraits des partis ; ces programmes ne sont guère que des diplômes, officiels ou illégaux, autorisant les porteurs à bâtir. Deuxièmement, les nouvelles classes dirigeantes manquaient des connaissances les plus élémentaires en matière d’administration ; pendant des siècles, en effet, elles avaient été tenues, par système, à l’écart de toutes les fonctions. Troisièmement, on ne devait pas devancer les résolutions de l’Assemblée Constituante ; il fallait, en tout cas, prendre des mesures énergiques pour en hâter la convocation et, en même temps, d’autres mesures non moins puissantes pour assurer l’entière liberté des élections. Quatrièmement, on haïssait tout ce qui portait le sceau de l’ancien régime, même quand il s’agissait d’une institution saine et légitime. Cinquièmement, les partis politiques souffraient d’un excès de présomption — chacun d’eux se flattait d’incarner la « volonté du peuple entier » et se distinguait par une hostilité déclarée à l’égard des autres.

Il serait facile d’énumérer d’autres motifs encore. Je me bornerai à un seul fait dont l’importance est aussi grande aujourd’hui qu’autrefois. On attendait la révolution, on la préparait — mais aucun groupe politique n’était réellement préparé à cette révolution. Elle arriva à l’improviste ; elle trouva tous ceux qui la souhaitaient dans l’embarras : leurs lampes étaient éteintes, comme celles des vierges dont parle l’Évangile. On ne peut tout expliquer, tout justifier par l’ « allure catastrophique » des événements. Personne n’avait, à temps voulu, tracé le plan des canaux et des écluses qui auraient empêché l’inondation de dégénérer en déluge. Aucun parti n’avait conçu un programme provisoire qui eût convenu à la période de transition par où allait passer le pays, un programme qui aurait pu, en attendant le plan régulier de la reconstruction, se modifier et s’adapter aux circonstances dans son essence et dans son étendue, soit en matière d’administration, soit aux points de vue économique et social. Il est à peine exagéré de soutenir que les deux blocs, progressiste et socialiste, n’ont à leur actif, après le 27 mars 1917, que les faits suivants : le premier, la nomination du prince Lvov au poste de ministre-président, le second, la création