Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/376

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des Soviets et la rédaction de l’ordre du jour n° 1. Tout de suite après commencèrent les fluctuations du gouvernement et du Soviet ; leur action convulsive n’obéissait à aucune méthode.

Malheureusement, la conscience publique n’a pas encore la notion claire des différences qui séparent, très nettement, les époques de transition de celles de reconstruction. Il y faut deux systèmes distincts, deux programmes.

Ce qui a marqué la période active de la lutte anti-bolcheviste, c’est la confusion de ces deux méthodes, la divergence des opinions et l’impuissance à créer une forme transitoire de l’autorité.

Et aujourd’hui encore, semble-t-il, les groupes qui s’opposent au bolchevisme continuent à creuser les abîmes qui les séparent et à construire des plans pour l’avenir, mais ils ne se préparent pas à gouverner après la chute des Soviets ; ils tendront de nouveau vers le pouvoir des mains désarmées, ils n’auront pour l’exercer que des idées confuses. Seulement, le problème sera alors infiniment plus complexe. Car le deuxième argument (après le caractère « catastrophique » des événements) qu’avançaient, pour excuser leurs échecs, les hommes du début de la révolution, l’argument de « l’héritage du régime tsariste » sera devenu singulièrement diminué quand on l’examinera à travers le brouillard sanglant dont les bolcheviks ont enveloppé la terre russe.

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Le nouveau pouvoir avait à résoudre un problème capital : celui de la guerre ; de la solution dépendait le sort du pays. Pour maintenir l’alliance et pour continuer la guerre, on avait des raisons morales — qui, à l’époque, semblaient péremptoires — et des raisons pratiques, plus ou moins discutables. Aujourd’hui, les premières sont moins absolues : nous avons pu constater l’égoïsme cynique de nos alliés et de nos adversaires à l’égard de la Russie. Et pourtant je crois encore qu’on avait eu raison de continuer la lutte. On peut émettre toute espèce de suppositions touchant les résultats éventuels d’une paix séparée : elle aurait pu être un « Brest-litovsk », elle aurait pu être moins dure pour l’État et pour notre amour-propre national. Mais il est certain que cette paix, signée au printemps 1917, aurait entraîné le démembrement de la Russie et sa ruine économique (c’eût été la paix générale aux frais de la Russie) — ou bien qu’elle aurait donné aux puissances centrales une victoire complète sur nos alliés, ce qui aurait provoqué dans leurs pays des perturbations autrement profondes que celles de l’Allemagne actuelle. Rien d’ailleurs, dans l’un ou l’autre cas, n’aurait amélioré les conditions politiques, sociales et économiques de notre existence, ou poussé la révolution russe dans une nouvelle voie. Seulement, outre le bolchevisme, nous aurions pu inscrire à notre passif la haine des vaincus, pendant de longues années.