déjà dit, à fomenter un coup d’État de palais, comme dernier moyen d’éviter la révolution imminente.
Néanmoins, l’insurrection éclata spontanément, prenant tout le monde au dépourvu. Plus tard, dans une circonstance privée, des membres notoires de l’Exécutive du Soviet de Pétrograd expliquèrent que « le soulèvement des soldats s’était passé indépendamment de celui des ouvriers, avec lesquels les soldats n’avaient eu aucune liaison à la veille même de la révolution », et que « le soulèvement n’ayant pas été préparé, il ne se trouva pas d’organe administratif qui y fût approprié ».
Quant aux milieux se groupant autour de la Douma, ils étaient prêts à un coup d’État et non à une révolution, et ils ne surent garder, en pleine tourmente, ni leur sang-froid, ni leur équilibre moral.
Les premières manifestations eurent lieu le 23 février (7 mars), lorsque des foules de peuple envahirent les rues ; des meetings furent improvisés où les orateurs appelaient à la lutte contre le pouvoir abhorré. Ceci continua jusqu’au 26 (10 mars), jour où le mouvement populaire atteignit des proportions gigantesques et où commencèrent des collisions sanglantes avec la police, qui fit usage de mitrailleuses.
Le 26 vint l’ordre prorogeant la session de la Douma d’Empire et le 27 au matin, les membres de la Douma, réunis en séance, décidèrent de ne pas quitter la capitale…
Or, le matin de ce même jour, les choses changèrent radicalement de face, car aux insurgés vinrent se joindre les bataillons de réserve des régiments de la garde, Litovsky, Volynsky, Préobragensky et du génie. Ce n’étaient précisément que des bataillons de réserve, car les régiments actifs de la garde se trouvaient alors au front du Sud-Est. Ces bataillons, ne différaient ni par leur discipline, ni par leur état d’esprit de toutes les autres unités de réserve de l’Empire.
Le commandement de la plupart des unités se trouva pris au dépourvu et ne put déterminer sur le coup sa ligne de conduite ; cette indécision fut une des causes qui lui firent perdre son influence et son autorité.
Les troupes descendirent dans la rue sans leurs officiers, se joignirent à la foule et se pénétrèrent de sa mentalité.
La foule armée, excitée jusqu’à l’extrême, ivre de liberté, échauffée par les orateurs, envahissait les rues, rasant les barricades, grossie sans cesse par de nouvelles masses jusque-là hésitantes…
Les détachements de police étaient impitoyablement massacrés. Les officiers que l’on rencontrait étaient désarmés, parfois tués. Le peuple en armes s’empara de l’Arsenal, de la forteresse Pierre et Paul, de la prison de Kresty.
Dans ce jour décisif, il n’y avait pas de chefs, il n’y avait que la multitude. Son mouvement menaçant ne laissait entrevoir ni but, ni plan, ni idées directrices. L’état d’esprit général ne trouvait son expression que dans le cri : Vive la liberté !