Page:Deraismes - A bon chat bon rat.djvu/15

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absolument à me fixer ici. C’est une plage fréquentée seulement par les gens du pays, les abords en sont difficiles ; puis elle a un aspect d’une âpreté sauvage fort peu appréciée généralement. Ensuite la vie matérielle doit y être réduite à des proportions trop frugales pour séduire bon nombre de touristes plus curieux d’un bon hôtel que d’un site pittoresque, et qui ne voyagent que pour changer de cuisine. Peu m’importe ! La liberté est le seul bien que je cherche, et ici je l’aurai complète. Je pourrai m’abandonner sans trouble à toutes les rêveries possibles. J’essayerai de reproduire avec mon crayon quelques-uns de ces effets qui m’enchantent, sans avoir à supporter au-dessus de mon épaule vingt regards curieux cherchant à plonger sur mon dessin commencé. Je serai seule !… toujours seule !… J’ai eu le soin de me débarrasser de ma femme de chambre, car n’est-on pas forcé de subir les réflexions de cette sorte de tyrans subalternes ? Nous autres Parisiennes, nous ne sommes jamais embarrassées, et je pourrai parfaitement me passer de ses services. Ici la toilette est inutile ; aussi je compte ne pas quitter cette robe. J’en ai pourtant apporté une autre, mais pour la mettre il me faudrait une obligation bien impérieuse. Décidément, peu de femmes renonceraient volontiers à la toilette pour deux grands mois ; car la plupart, sous le prétexte de se reposer des fatigues de l’hiver, transportent, à une distance de Paris plus ou moins considérable, leurs habitudes mondaines en les exagérant encore. À Paris, trois toilettes suffisaient ; aux eaux, on en fait six. Pauvres esclaves ! que je les plains, et comme je m’applaudis de ma nouvelle résolution ! (Elle cherche dans son sac.) Eh quoi ! aurais-je oublié Ossian ? Ce serait fâcheux. (Elle entend chanter.) Une voix sympathique ; gageons que c’est mon hôte, (Elle s’assied.) Ne le troublons pas.