Page:Deraismes - A bon chat bon rat.djvu/23

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ANTOINETTE.

Je ne trouve pas cela utile ; pourtant, si vous y tenez absolument, j’y consens.

OCTAVE.

C’est donc arrêté.

ANTOINETTE.

Quant à l’endroit dans lequel nous sommes, c’est un terrain neutre, puisque ce n’est ni chez vous, ni chez moi. Or, celui qui se trouvera gêné par l’autre se retirera sans mot dire.

OCTAVE.

Très-bien ! Maintenant, commençons ; suis-je gêné ? Non, je reste. Il y a du feu, le vent souffle au dehors. Je vais m’accommoder tant bien que mal de ce mauvais siége.

ANTOINETTE, ouvrant un livre.

Vous êtes libre.

OCTAVE, allant près de la cheminée, attisant le feu.

Voyez, madame, comme il faut peu de chose pour changer la nature de nos impressions. En nous trouvant tous les deux vis-à-vis l’un de l’autre, contre notre attente, un sentiment visible de mauvaise humeur s’est emparé de nous, et nous l’avons manifesté ouvertement. Eh bien ! il a suffi de quelques mots échangés pour rassurer notre esprit, un instant inquiet devant la perspective de notre liberté compromise ; car, pour moi, je redoute plus une compagnie imposée que le plus complet isolement. J’ai quelque propension à la misanthropie.

ANTOINETTE.

Tant pis ; suivant moi, la misanthropie n’est guère qu’un refuge où vient s’abriter quelque échec de l’amour-propre. D’ailleurs, on ne hait l’humanité que lorsqu’on n’a pas eu assez de mérite pour s’en faire aimer ; c’est une revanche qui cache un dépit.