Page:Deraismes - A bon chat bon rat.djvu/24

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OCTAVE.

Je suis tout à fait d’une opinion contraire à la vôtre, madame. La misanthropie est le fait d’une âme au-dessus du niveau commun ; ce que vous appelez dépit est une légitime amertume résultant des froissements d’un cœur blessé.

ANTOINETTE.

Ah ! ah ! vous parlez comme un amoureux de comédie ; amoureux éconduit, veux-je dire.

OCTAVE, avec ironie.

Je n’ai jamais été amoureux, madame.

ANTOINETTE.

Bah ! ça viendra, seulement un peu tard.

OCTAVE, à part.

C’est flatteur. (Haut.) Non, madame, et, en supposant que j’eusse devant les yeux, en ce moment, la plus belle personne du monde, je resterais aussi calme que me voici.

ANTOINETTE, à part.

La supposition est polie. (Haut.) Ainsi donc vous avez négligé les autels de l’amour, même dans votre jeunesse ?

OCTAVE, à part.

Elle me croit cinquante ans. (Haut.) Oui, madame.

ANTOINETTE.

Eh bien, monsieur, je conçois pour vous une grande estime ; vous avez agi en homme de bon sens ; il est pénible et même ridicule d’éprouver un sentiment qu’on ne peut inspirer ; vous vous êtes ainsi épargné de grands soucis.

OCTAVE, se levant.

Cette conversation prend un tour qui me ravit, madame ; nous parlons l’un et l’autre avec une franchise… !

ANTOINETTE.

Bien rare dans le monde, n’est-il pas vrai ?