Page:Deraismes - A bon chat bon rat.djvu/35

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OCTAVE.

Madame, je suis désolé d’avoir à vous rappeler le rôle que vous vous êtes choisi, et duquel vous sortez à tout propos.

ANTOINETTE.

Ah ! mon Dieu, c’est vrai. Ce que c’est que l’habitude !

OCTAVE.

Permettez-moi de continuer : une femme, dis-je, ne pardonnera pas un enthousiasme, une exaltation qu’elle n’a pas fait naître. Elle ne pourra pas entendre le récit d’une passion qu’elle n’a pas allumée. C’est ce qui fait que la femme ou la maîtresse d’un savant ou d’un artiste est la plus malheureuse des créatures. Car elle saura bientôt qu’elle n’occupe qu’une seconde place dans l’esprit et dans le cœur de son mari ou de son amant. C’est une idée qu’on lui préfère. Eh bien, elle sera jalouse de cette idée. Les femmes acceptent les arts quand elles les inspirent. Elles admettent la science quand on est prêt à la leur sacrifier. Elles admettent tout enfin quand elles sont sûres d’avoir la prédominance ; et, comme dans les rapports de l’amitié, la beauté, la grâce n’ont aucune autorité, il n’est pas de femme qui ne cherche à transformer ce sentiment pour satisfaire son orgueil.

ANTOINETTE.

De mieux en mieux ; la légèreté des femmes les éloigne de l’amitié. Leur vanité leur fait rejeter tout ce qui n’a pas rapport à elles-mêmes. Elles y sacrifient jusqu’au génie. Selon vous, l’art qu’elles comprennent est celui qui reproduit leurs charmes ; la littérature qu’elles encouragent est celle qui célèbre leur beauté ; en un mot, le seul langage qui leur soit harmonieux est ce plat jargon composé de phrases banales, de redites incessantes qui circulent dans un salon sous le feu de mille bougies, assez semblables à ces plateaux chargés de fades sucreries qu’il est d’usage d’offrir et dont personne ne