Page:Deraismes - A bon chat bon rat.djvu/40

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Scène III.


ANTOINETTE, seule.

Voilà un incident qui tiendra sa place dans mes impressions de voyage. La situation est bizarre. Au premier abord, j’ai pris ce monsieur pour un malotru. C’est un original. Ce que j’admire chez les hommes, c’est la prétention qu’ils affectent de ne pas partager nos faiblesses. N’a-t-il pas cherché à me persuader qu’il en était exempt ? Il faut vraiment qu’il m’ait crue bien niaise pour me débiter ces tirades-là et penser qu’elles me convaincraient. Cet homme est l’orgueil même. Le moment serait bien choisi pour l’humilier. Oh ! j’ai entendu de sa bouche des paroles que nul n’a encore prononcées devant moi. Est-ce vraiment sa façon de penser ? Et lui ai-je fait une semblable impression ? Ce serait flatteur pour moi. En serais-je déjà réduite à ne produire d’effet qu’à l’aide de toilettes somptueuses ? Le fait est que je dois être laide à faire peur. « Si j’étais devant la plus belle personne du monde, » m’a-t-il dit ; et j’étais là devant lui, c’est fort ; « je serais aussi calme que vous me voyez ! » mais c’est un défi. Et je n’y répondrais pas ! Il y aurait lâcheté. Oui, mais réussirai-je ? Oh ! pourquoi douter ? D’ailleurs, la défaite, si défaite il y a, n’aura pas de témoins. C’est une étude que je veux faire, une joute entre deux forces. Il serait bien plaisant de voir cet esprit fort se troubler et, finalement, conclure comme un véritable écolier. Oh ! c’est simplement pour jouir de cet amusant spectacle que l’idée de confondre son orgueil me traverse l’esprit. La coquetterie, la vanité n’entrent pour rien dans ce