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ANTOINETTE.

Vous allez me conter une histoire ? Sera-t-elle longue ?

OCTAVE

Non, rassurez-vous ; elle se résume en peu de mots ; elle vous intéressera d’autant plus qu’elle vous concerne aussi bien que moi.

ANTOINETTE.

Vraiment ?

OCTAVE

Les premières années de la jeunesse sont les mêmes pour nous tous. Que de désirs et d’espérances n’avons-nous pas ! Nous nous plaisons à créer un être imaginaire qui les réalisera. Nous cherchons longtemps, très-longtemps, surtout si nous sommes en droit d’être exigeants ; et quand nous n’avons pas trouvé, un étrange changement s’opère en nous. Quelques années seulement peuvent l’amener. Nous sommes pourtant toujours jeunes, et les désirs, les soifs inextinguibles n’ont pas déserté la place, les espérances seules ont manqué de constance et de foi. Quel vide et quelle pauvreté ! Alors nous croyons être sérieux en nous rangeant dans le camp de ceux qui annihilent l’âme en lui refusant le seul aliment qui la fasse vivre : le rêve de l’idéal. Mais, il faut bien le dire, malgré nos belles résolutions, malgré cette prétendue sagesse qui affecte l’indifférence, ce rêve, nous le continuons encore à notre insu, et tenez, rentrez en vous-même, et vous le retrouverez peut-être plus impérieux que jamais. C’est quand cette heure-là est venue que, tourmenté par un malaise étrange, inqualifiable, par son esprit inquiet, on va loin des regards curieux de la foule cacher le spectacle d’un cœur qui souffre et qui a honte de l’avouer. C’est au sein même de la détresse que nous espérons trouver, ô inconséquence humaine, ce que