Page:Deraismes - Eve dans l humanite - Les Droits de l enfant.pdf/178

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cœurs, c’est dans les habitudes. Je vous parle principalement des quartiers occupés par des fabriques et habités par les ouvriers qui y travaillent. Dans ces maisons, qu’une femme soit battue, le voisin écoute, prête une certaine attention et, aux coups les plus retentissants, combien disent ou sont tentés de dire : « Bien touché ! »

Les mots sont tous de cette force, et, devant les tribunaux, on en entend que je puis vous citer. En police correctionnelle, dans un procès concernant une femme battue par son mari, qui l’avait mise dans un état pitoyable, le président adressait au prévenu l’admonestation d’usage : « Vous avez été brutal envers votre femme, etc. » L’autre de dire : « Ah ! monsieur le président, si vous saviez comme elle est obstinée ! » Puis venait le principal témoin à charge qui disait : « Si j’avais une femme aussi obstinée que cela, je lui en ferais autant. » Bien obstinée en effet, la pauvre femme : elle s’obstinait à empêcher son mari d’aller au cabaret.

Et cet autre témoin qui disait : « J’ai déposé la vérité ; il bat sa femme, c’est vrai ; mais je ne dis pas qu’un tel n’a pas le droit de battre sa femme, seulement il la bat la nuit, et cela m’empêche de dormir. »

À Versailles, j’ai entendu une pauvre femme à qui son mari avait cassé je ne sais plus combien de membres, dire : « Je sais bien qu’il faut qu’une femme soit battue, mais… » C’est épouvantable !

Je voudrais bien ici que nos faiseurs de paradoxes vinssent me dire : « La faiblesse de la femme, c’est sa force. » Sa force ? Elle la prendra donc chez les autres ? Quand on prend chez ses voisins ce qui vous manque, on ne manque de rien : c’est clair.

Hélas ! que d’infamies se passent encore sans que les tribunaux s’en occupent, sans que la loi intervienne !