Page:Des Érables - La guerre de Russie, aventures d'un soldat de la Grande Armée, c1896.djvu/103

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de me pelotonner comme un hérisson, les deux mains jointes sur ma tête. La foule hideuse qui m’entourait était furieuse de me voir souffrir si peu. Les femmes surtout s’acharnaient, me roulant d’un côté de la rue à l’autre. Ce jeu cruel finit par les amuser beaucoup : elles riaient aux éclats et applaudissaient chaque fois qu’un coup bien appliqué m’arrachait un cri de douleur.

Plus heureux que moi, le caporal était tombé, mort ou évanoui, au premier coup que lui porta un grand vaurien, le chef de la bande sans doute, qui, voyant mon ami hors de combat, se rua sur moi avec une fureur inouïe.

Cela ne pouvait durer bien longtemps. Comme je refusais obstinément de me relever, un paysan écarta ceux qui me serraient de plus près, et, levant sa hache, il fit mine de m’en frapper.

Je fermai les yeux en recommandant mon âme à Dieu.

La brute n’eut pas le temps d’exécuter son projet ; une femme arrêta son bras et lui parla avec volubilité. Elle avait sans doute trouvé un bon moyen de nous faire entendre raison, car tous mes bourreaux, hommes et femmes, se mirent à rire et à battre des mains. La mégère partit en courant et revint au bout de quelques instants avec une marmite d’eau bouillante !

Elle se disposait à m’infliger le plus cruel des supplices, lorsque son attention fut attirée par l’arrivée de deux cosaques dont les chevaux, couverts d’écume, faillirent écraser les plus acharnés de mes persécuteurs.

Alors, ramassant ce qui me restait d’énergie, j’essayai de fuir, mais trop de souffrances m’avaient épuisé. Je n’avais pas fait dix pas que je perdis connaissance.