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Page:Des Érables - La guerre de Russie, aventures d'un soldat de la Grande Armée, c1896.djvu/104

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VIII

UN COSAQUE BIENFAISANT !

COMBIEN de temps suis-je resté là, étendu sur la terre glacée, perdant mon sang par vingt blessures ?

Je l’ignore, mais jugez de mon étonnement lorsque, revenant à moi, je me vois au milieu d’une cabane bien chauffée, couché sur un bon lit. Chose plus surprenante : un cosaque, grand et bel homme à la longue barbe noire, se tient près de moi et cherche à me consoler. Sa voix est douce et le français qu’il parle, sans être tout à fait correct, est très-compréhensible. Voici ce qu’il me raconte :

À la vue des cavaliers, les paysans avaient cessé de me maltraiter et la femme qui devait m’arroser d’eau bouillante avait pris la fuite. Au grand étonnement de mes bourreaux, les cosaques les critiquèrent vivement et les menacèrent même de leurs lances, disant que les soldats étrangers devaient être conduits en Sibérie, mais que nul n’avait le droit de les tuer ni même de les maltraiter.

Les braves militaires nous avaient portés, mon ami et moi, dans l’habitation la plus proche, et, malgré les murmures du fermier et de sa femme, ils se mirent à laver nos plaies et à nous frictionner avec des tampons de laine. Ils s’aperçurent bientôt que le pauvre caporal avait cessé de vivre. Plus robuste que lui, j’avais résisté à tant de misères et de tortures.

Le cosaque me disait tout cela en me serrant la main, se levant de temps en temps pour fermer la porte que les Russes semblaient, dans leurs incessantes allées et venues, ouvrir à plaisir pour m’exposer aux courants d’air.

— Les sauvages ! s’écria-t-il ; si je m’en allais, ils vous auraient bientôt massacré. Mais, soyez tranquille, je ne vous abandonnerai pas… Pauvre homme, que de souffrances il a fallu pour vous mettre dans cet état !

Et il était tout ému en parlant ainsi.

— Je ne souffrirai plus longtemps, répondis-je ; dans quelques heures j’aurai rejoint mon pauvre camarade.