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LA GRANDE ARMÉE

Quatre cent mille hommes, dont quatre-vingt mille cavaliers, allaient passer le Niémen sous la conduite de Napoléon, et après eux venait une réserve de deux cent cinquante mille soldats de différentes nations pour garder les communications avec la France.

Dix-huit cents pièces de canon, sans compter deux parcs d’artillerie de siège, suivaient l’armée et allaient ouvrir de larges brêches dans les rangs des Russes.

Mais cela même fut plus nuisible qu’utile, à cause de l’immense encombrement de fourgons de toute espèce que l’artillerie rendait nécessaire. En peu de jours toutes les routes furent défoncées, ravinées, impraticables. Beaucoup de chevaux périrent, faute de fourrages ou par suite des trop grandes fatigues. Bientôt les vivres commencèrent à manquer, malgré les approvisionnements immenses entassés à Dantzig, Elbing et Braunsberg. Les soldats affamés s’écartaient pour se livrer à la maraude et pillaient également amis et ennemis. Enfin, dès le passage du Niémen, le désordre se mit dans l’armée et s’accrut rapidement par les marches forcées, les privations et les maladies.

Dernier détail : Napoléon avait eu la singulière idée de faire traîner une partie de ses canons par des bœufs. Ces animaux devaient être abattus au fur et à mesure des besoins, une fois qu’on serait arrivé en Russie. Mais ces pauvres bêtes, surmenées et mal nourries, succombèrent dès les premières étapes et celles qu’on crut utiliser pour l’alimentation ne répondirent guère à l’attente des affamés, tellement elles étaient maigres et coriaces.

Je le répète encore et je l’avoue très-humblement, j’ai emprunté en grande partie tous ces renseignements aux différents auteurs cités plus haut, car les notes du grand-père disent peu de choses à ce sujet. Tout ce que le bon vieillard ait pu m’apprendre, c’est que l’armée était nombreuse et belle, que les soldats étaient pleins de courage, surtout parce qu’on leur avait dit que cette guerre serait la dernière et qu’ils espéraient retourner bientôt dans leurs foyers.

Ils devaient être cruellement déçus dans leur attente.