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VIII

PREMIERS COMBATS

À Wilna un rapprochement faillit avoir lieu entre les deux empereurs, à ce que me dit un de mes amis qui avait été de service chez le colonel au moment où l’aide de camp russe Bachaloff était venu, au nom d’Alexandre, faire une dernière démarche pacifique.

Cet émissaire avait la haute direction de la police moscovite. Il demanda à l’empereur pourquoi il avait franchi la frontière et dans quel but il faisait la guerre à un peuple qui ne demandait qu’à vivre en paix avec tout le monde.

Napoléon s’emporta ; il traita Alexandre d’officier de parade et se moqua des généraux russes, qu’il déclara pour la plupart fous ou incapables.

Bachaloff partit et les événements suivirent leur cours.

Nous étions à peine sortis de Wilna, que l’enthousiasme et la gaieté quittèrent nos rangs. Beaucoup de soldats murmuraient tout haut et le nombre de traînards augmentait chaque jour. On n’avait plus en Napoléon cette confiance aveugle qui nous faisait marcher autrefois sans calculer les distances ni mesurer les dangers.

On eût dit que la fatalité planait sur nous. Un escadron polonais de la garde périt jusqu’au dernier homme dans une rivière qu’il essayait de traverser ; cinq jours de pluies torrentielles qui nous empêchèrent de prendre le moindre repos, firent brusquement baisser la température et des maladies contagieuses enlevèrent grand nombre de soldats. Plus de dix mille chevaux moururent en quarante-huit heures et ceux qui ne succombèrent pas étaient si faibles et fatigués qu’ils ne pouvaient plus nous rendre de grands services.

Cependant nous avancions toujours, chassant devant nous l’armée russe, que seuls nos éclaireurs apercevaient de temps en temps.

Le général russe Barclay de Tolly remontait la vallée de la Dwina, son infanterie sur la rive droite, sa cavalerie sur la gauche, et se dirigeait vers Witepsk. Nous comptions le rejoindre aux environs de cette ville et trouver enfin l’occasion de nous battre.

La marche fut longue et pénible. Les fortes chaleurs étaient revenues et nous n’avions pas de vivres.

Enfin, le 25 juillet, nous vîmes, près d’Ostrowno, l’arrière-garde de l’armée ennemie, c’est-à-dire l’artillerie et la cavalerie.