Page:Des Érables - La guerre de Russie, aventures d'un soldat de la Grande Armée, c1896.djvu/48

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Mais, grâce à Dieu, je m’en tirai encore cette fois-ci sans autres avaries que la petite balafre dont la cicatrice fait l’ornement de ma joue gauche.

Les Italiens, qui formaient le gros de notre division, se battirent comme des lions et Borodino fut pris, pendant que Davoust s’emparait de Semenskoé.

Voilà tout ce que je puis vous dire d’après mes propres renseignements ; on ne saurait être à deux places en même temps ; mais voici ce que j’ai appris plus tard, soit par les récits de mes camarades soit par la lecture des rapports.

Poniatowski, avec ses Polonais, avait attaqué la droite des Russes ; malheureusement il s’engagea dans un terrain marécageux et la discipline cessa de régner parmi ses troupes. L’ennemi s’aperçut de ce désordre et résolut d’en profiter pour culbuter Davoust et arrêter Ney, qui s’était mis en marche pour tourner la grande redoute. C’est Bagration qui fut chargé de cette mission. Son attaque fut furieuse et ses canons bien pointés tirent de grands ravages.

Bien persuadé qu’il lui serait impossible de tenir longtemps, Ney, fit demander du secours.

Son aide de camp trouva Napoléon se promenant avec le général Berthier près de la redoute.

Tous les deux étaient à pied et causaient tranquillement, comme indifférents à ce qui se passait autour d’eux. L’envoyé de Ney n’avait pas encore eu le temps de remplir sa mission qu’un second aide-de-camp arriva, puis un troisième et un quatrième, tous criant : « Du secours ! il faut du secours sans tarder ! »

Napoléon parut contrarié et demanda à Berthier :

— Qui donc pourrions-nous envoyer là ?

— Une division de la jeune garde avec le général Claparède, répondit Berthier.

— C’est bon ! répondit l’empereur après un moment d’hésitation, donnez des ordres en conséquence.

Puis, se ravisant, il reprit :

— Non, n’envoyez pas Claparède, car j’ai besoin de lui ici ; mais faites partir Friand.

Tout cela prit bien une demi-heure et cette hésitation de l’empereur coûta cher à la division Ney qui subit des pertes considérables. Enfin, grâce à une bonne charge des cuirassiers Saxons et à l’arrivée de Friand, l’ennemi fut repoussé. Des deux côtés les troupes étaient tellement exténuées, qu’il y eut comme une convention tacite de suspendre le combat. Pendant ce temps, Poniatowski reculait toujours ; heureusement Junot vint à son secours et refoula les Russes.

Il s’agissait maintenant de s’emparer d’une grande batterie qui formait le centre de l’armée russe et nous faisait beaucoup de mal. Elle était placée dans une redoute qui commandait le champ de bataille. Eugène s’en approcha avec ses Italiens soutenus par quatre autres divisions. Un régiment d’élite, le 24me de ligne, pénétra dans la redoute mais y succomba jusqu’au dernier homme.

Repoussé avec de grandes pertes, Eugène se lança une seconde fois à l’assaut.

Et la grand batterie envoyait toujours dans nos rangs ses projectiles meurtriers !