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Page:Des Érables - La guerre de Russie, aventures d'un soldat de la Grande Armée, c1896.djvu/54

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XII

MOSCOU

REVENU de l’hôpital, mon premier soin fut de me mettre à la recherche de ce qui pouvait rester de mon régiment.

Les figures de connaissance commençaient à devenir rares, car les deux tiers au moins des hommes de mon escadron avaient mordu la poussière.

Vers neuf heures, j’eus la bonne chance de rencontrer le vieux brigadier Desbuttes, qui, malgré son manque absolu d’éducation, avait toujours été pour moi un excellent camarade et un ami dévoué. Accompagné d’un élève-trompette, il courait de tous côtés, indiquant aux cavaliers épars le point de ralliement.

— Ne perdons pas une minute répétait-il continuellement, car ces misérables mangeurs de chandelles vont nous tomber sur le dos et la journée sera chaude.

Cependant le vaillant sabreur se trompait. Pendant la nuit, le vieux Kutusof, ayant réuni autour de lui un grand nombre d’officiers supérieurs, s’était renseigné minutieusement sur les pertes de l’armée russe. Barclay de Tollay lui même, malgré son système de reculades perpétuelles, fut admis au conseil. La longue liste des généraux mis hors de combat effraya le vieux chef et il donna à ses troupes l’ordre de se mettre en marche immédiatement pour aller se retrancher derrière les murs de Moscou.

Dans cette ville, la seconde capitale de la Russie, on avait, comme à Paris, chanté un Te Deum solennel. Des deux côtés donc on croyait, ou du moins on faisait semblant de croire qu’on avait remporté la victoire. Au fond, la boucherie de Borodino nous avait été plus fatale qu’à l’ennemi, car lui pouvait toujours combler ses vides par des recrutements nouveaux, tandis que derrière nous le chemin de la patrie se fermait et nous ne devions plus attendre ni renfort ni provisions d’aucune sorte. L’ennemi fuyant toujours, nous arrivâmes devant Moscou pour ainsi dire sans tirer un coup de fusil.

À une petite distance de la ville, quelques escadrons de cosaques se dispersèrent à notre approche, mais leurs chefs firent demander une entrevue à Murat, et lui annoncèrent que la ville était prête à se rendre.

Le fait est que la ville n’avait plus ni garnison, ni habitants. Le gouverneur, le farouche Rostopchin, avait pris ses mesures pour ne nous abandonner que des ruines.