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ma petite cousine

Derrière eux marchait un soldat qui traînait le pied et dont le costume ne permettait pas de déterminer à quel régiment il appartenait.

— Voici la marraine, dit mon cousin en nous présentant le grenadier.

Le caporal et moi nous partîmes d’un éclat de rire.

— Ne riez pas, reprit le cousin : j’ai parlé cette nuit d’une cantinière…

— Eh ! bien ?

— La voici !

C’était elle en effet ; mais comme elle avait des traits fortement accentués et qu’elle portait crânement l’uniforme, on eût difficilement reconnu en elle la sémillante vivandière d’autrefois.

Tout le monde était à son poste pour la cérémonie.

Nous découvrant respectueusement, nous fîmes une courte prière et l’eau sainte du baptême coula sur le front de la jeune chrétienne.

— Nous remettrons la fête à un autre jour, dit le père avec un triste sourire.

— On se retrouvera au pays, ajouta ma cousine.

— Pour cela, dis-je, il faut que le courage ne nous manque pas. Je crois que nous ferions bien de nous mettre en route immédiatement. Pendant que vous ferez vos derniers préparatifs, je vais tâcher de prendre ma part du butin qu’on se dispute au-dehors.

— Approuvé ! dirent d’une voix tous mes compagnons d’infortune. Dans la cour, on s’arrachait les lambeaux sanglants du bétail abattu. Il me fut facile de capturer un bon morceau, mal découpé, par exemple, et encore tout couvert de poils ; mais on n’y regarde pas de si près en pareilles circonstances.

Nous avions des vivres pour une couple de jours de plus. Mes amis étaient prêts. Ils m’attendaient dans un coin de la grange et leurs places autour du feu étaient déjà prises par un triple rang de soldats déguenillés.

Ma cousine un peu pâle, mais forte et courageuse, tenait dans ses bras la petite Marie, qui venait de s’endormir. De la poche de sa robe je vis sortir la crosse d’un pistolet. Les cosaques ne l’insulteraient pas impunément !

Son mari était un de ces bons villageois qu’on ne devrait jamais arracher aux travaux de la campagne. Cependant, au moment du danger, ils montrent un courage et un stoïcisme qui étonnent les plus vaillants.

La marraine, Catherine P…, était une de ces gaillardes qu’on n’effraye pas facilement. Elle ne montrait pas la moindre émotion, et je me dis qu’on pourrait compter sur elle en cas de danger.

Le soldat qui était entré avec elle dans la grange était son mari. Pas plus que mon cousin, il n’était fait pour le métier des armes ; mais il se comportait comme les plus vaillants, quand il s’agissait de donner des coups ou… d’en recevoir.

Quant au caporal, c’était un enfant de Paris, toujours gai, toujours spirituel, un peu blagueur peut-être, mais bon soldat et ami fidèle, comme je pus voir par la suite.

Mon cousin sortit le premier, pour aller prendre le cheval, qu’il avait attaché près de la grange, à un arbre.

La pauvre bête venait de tomber morte.

C’était une petite perte, car d’un moment à l’autre les fuyards pouvaient s’en emparer pour le manger.