Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/55

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prouver contre eux l’excellence des œuvres antiques, si simples et si vraies. Paul de Saint-Victor pour son compte ne s’est pas abaissé à ce débat : deux ou trois fois il a daigné faire à ces Marsyas du petit journal ou de l’opérette l’honneur de les écorcher de ses propres mains, ses mains d’Apollon ! Seulement, nous admirons de prétendus humanitaires qui suppriment les phases nécessaires du développement de l’humanité, et qui veulent réduire les hommes à ne regarder qu’eux-mêmes, sans voir en avant ni en arrière, comme si le dernier terme du progrès était l’existence inconsciente des animaux.

Sans doute, pour tout homme instruit, pour tout homme sensé, cette esthétique en délire a l’importance qu’elle mérite. Mais songez quels ravages elle peut faire chez des lecteurs dépourvus de jugement et d’instruction, et par suite sans défense contre les atteintes de grossiers sophismes. Ajoutons que cette négation outrecuidante flatte et caresse les plus mauvais instincts des natures médiocres, la basse envie, la vanité sotie, la présomption. Comme un bourgeois épais, comme un gandin seront heureux de se dire : « Tiens, cet Homère, ce Raphaël, ce Mozart, dont on parlait avec tant de respect, ils ne valent pas mieux que nous. Et ces pièces de Molière, ce n’est pas grand’chose de bon. Le journaliste l’a dit. Je n’étais donc pas si sot de leur préférer la Biche au Bois ou la Belle Hélène ! » Et le bourgeois ou le gandin qui font leurs délices du journal en question trouveront arriérés et niais ceux qui vont admirer Molière et battre des mains à Hernani.