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Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/92

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violente du Zurbaran de la poésie. Il n’a pas cette jalousie du passé qui armait Voltaire contre tous ses prédécesseurs et lui faisait envier un triomphe remporté sous l’archontat de Périclès. Il n’a pas même ce souci maladif du présent qui, chez les grands poètes, se traduit parfois par un dédain simulé à l’endroit de leurs jeunes rivaux, dédain qui confine à l’appréhension et à la défiance de soi-même. Dire, en effet, quelle admiration sérieuse, quelle affection clairvoyante et dévouée Gœthe ressentit pour Schiller, ce serait tomber dans le lieu commun. Mais son attitude vis-à-vis de Byron, auquel il survécut de plusieurs années, est bien moins connue du public. Jamais Gœthe ne traita Noël Gordon en nouveau venu ou en parvenu. Il le regarda comme assis de plain-pied dans le chœur sacré des génies, et ne lui disputa aucunement sa place. Sans complaisance dans ses jugements à huis clos, Gœthe témoigna au poëte anglais une franche sympathie mêlée de certaines réserves. Cette sympathie s’adresse à la riche imagination de Byron, surtout à cette puissance de résurrectioniste avec laquelle il évoque la magie des souvenirs. Ces réserves porteront volontiers sur les bizarreries dont Byron offusque la majesté séculaire de la poésie, sur la monotonie de ses conceptions, sur l’uniformité de ses personnages, sur son excessive ironie. Gœthe sut démêler le grand poëte en Byron, puisqu’il le déclare supérieur à Tasse lui-même ; mais il voit aussi, à côté de l’homme de génie, comme un second homme dont la nature douteuse compromet et altère les conceptions, parfaites au