EPISTRE
A MA FILLE.
I la fable d’un excellent poëte a
mis Enee entre les celestes, pour
avoir tiré son pere & les simulacres
de ses Dieux hors de la flame
qui bruloit Ilion : combien
avec plus de raison, l’histoire
veritable d’un siecle non ingrat devra faire honorable
mention de toy (ma Fille) qui par vive foy
porte au cueur l’image du grand Dieu, & par le vol
de ta plume sans mendier l’aide d’autruy prends
peine de me tirer hors des nuitz Cimerienes, où
l’ignorãce & la viellesse me tenoient ensevelie ? Tu
resembles au vert rameau, qui par sa naïve grace
eft cheri de la douce aure, des gratieux ruisseaux,
& des rayons temperez du Soleil: lequel rendant
loyer du bien receu par la fertilité de ses fleurs en
tout temps multipliees, n’oublie jamais la vielle
souche qui luy a donné un peu de matiere sans forme :
mais il est tousjours curieux de cacher son defaut,
& le defendre de la violance des vents, du
tonnerre, & du temps. Ainsi (ma Fille) je t’espreuve
sans fin comblee d’amour & de pieté, m’eslevant
l’ame & le ceur à quelque loüable entreprise. Et