Page:Des artistes, première série, 1885-1896, peintres et sculpteurs, 1922.djvu/110

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sa propre chair, et il ne vit qu’en lui et par lui, d’une vie de travail incessante et rude. Admirable et curieuse folie qui est la sagesse suprême, car il aura connu des joies suprêmes que bien peu connaissent. Paris ne pouvait convenir avec sa fièvre, ses hâtes, ses vaines intrigues, à un contemplateur obstiné, à un passionné de la vie des choses, comme l’est M. Claude Monet. Il habite la campagne dans un superbe paysage, en constante compagnie de ses modèles, et le plein air est son unique atelier. Aucun n’est plus orné de richesses que celui-là. On peut le voir, installé dès l’aube, qu’il neige, qu’il vente, que le soleil monte sur la terre, en nappe de feu, cherchant des nouveaux horizons, impatient de découvrir quelque chose de mieux, de voir un dessin qu’il n’ait pas vu encore, de saisir un ton qu’il n’ait pas encore saisi. Aujourd’hui, il s’est remis aux figures. Et comme il inventa pour la vie des choses une poésie nouvelle, il découvrit, pour la vie des êtres, un art qui n’avait pas encore été tenté jusqu’ici. En attendant, il ignore qu’il y a un Salon, des Académies, qu’on décore les artistes, et il poursuit loin des coteries, des intrigues, la plus belle et la plus considérable parmi les œuvres de ce temps.

(Figaro, 10 mars 1889.)