Page:Des artistes, première série, 1885-1896, peintres et sculpteurs, 1922.djvu/136

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il n'a point encore senti naître la passion de l'art qui va s'emparer de lui et l'étreindre tout entier, âme et chair, jusqu'à la souffrance, jusqu'à la torture. Il n'a, point conscience des impressions énormes, puissantes, variées qui, par un phénomène de perception insensible et latente, entrent, s'accumulent, pénètrent, à son insu, dans son cerveau, si profondément que, plus tard, rentré dans la vie normale, lui viendra l'obsédante nostalgie de ces soleils, de ces races, de ces flores, de cet Océan Pacifique, où il s'étonnera de retrouver comme le berceau de sa race à lui, et qui semble l'avoir bercé, dans les autrefois, de chansons maternelles déjà entendues.

Le voilà revenu à Paris, son temps de service fini. Il a des charges; il faut qu'il vive et fasse vivre les siens. M. Gauguin entre dans les affaires. Pour l'observateur superficiel, ce ne sera pas une des moindres bizarreries de cette existence imprévue, que le passage à la Bourse de ce suprême artiste, comme teneur de carnet chez un coulissier. Loin d'étouffer en lui le rêve qui commence, la Bourse le développe, lui donne une forme et une direction. C'est que, chez les natures hautaines, et pour qui sait la regarder, la Bourse est puissamment évocatrice de mystère humain. Un grand et tragique symbole gît en elle. Au-dessus de cette mêlée furieuse, de ce fracas de passions hurlantes, de ces gestes tordus, de ces effarantes