Page:Des artistes, première série, 1885-1896, peintres et sculpteurs, 1922.djvu/251

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ennui. Aussi abandonna-t-il très vite cet atelier pour entrer chez Carrier-Belleuse. Aujourd'hui encore cette incompréhension de jeune homme est, pour lui, un sujet de mélancolique étonnement et presque de remords. De chez Carrier-Belleuse il alla en Belgique. Et, là, durant plusieurs années, il paya, talent comptant, l'hospitalité d'un sculpteur belge, dont le nom, je pense, est depuis longtemps retourné à l'oubli – qui était chargé de décorer la Bourse de Bruxelles. Au nombre des figures dont se compose cette décoration, celles de Rodin sont facilement reconnaissables à leur différence. Un œil amoureux de la forme ne s'y trompe pas. Il va vers elles, tout de suite, comme, dans une foule d'indifférents, on va vers l'ami aussitôt aperçu.

Durant qu'il travaillait obscurément pour les autres, Auguste Rodin ne perdait pas son temps. Il apprenait à vaincre les difficultés de son art, et il se fortifiait l'esprit. Curieux de tout ce qui vit, de tout ce qui pense, ayant de la nature et de ses harmonies un sens très pénétrant, il se donnait, tout seul, par des lectures abondantes et choisies, par des habitudes d'assidue réflexion et d'observation profonde, il se donnait une des plus fortes éducations que je sache. Ses amis savent quelle âme ardente, quelles énergies mentales, quel souple organisme cérébral, se cachent sous la. tranquillité douce et si fine, presque rusée,