Page:Des artistes, première série, 1885-1896, peintres et sculpteurs, 1922.djvu/257

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dans cet enfant, suppliant et vaincu, a soif d'amour, d'embrassement, d'idéal, toutes choses par quoi il meurt, qui sont là, à portée de sa main, à portée de son âme, et que sa main ne saisira jamais et dont son âme jamais ne connaîtra la possession. La femme fuit : elle ne se détournera pas.

Ce qu'il y a de poignant dans les figures de Rodin, ce par quoi elles nous touchent si violemment, c'est que nous nous retrouvons en elles. Suivant une belle expression de M. Stéphane Mallarmé, « elles sont nos douloureux camarades ».

Je n'ai pu donner qu'une notion bien incomplète, à peine intelligible, de l'œuvre déjà si considérable d'Auguste Rodin. Je terminerai par ces lignes que Stendhal écrivit en 1847 dans son Histoire de la peinture en Italie : « Si un Michel-Ange nous était donné dans nos jours de lumière, où ne parviendrait-il point ? Quel torrent de sensations nouvelles et de jouissances ne répandrait-il pas dans un public si bien préparé par le théâtre et le roman ? Peut-être créerait-il une sculpture moderne, peut-être forcerait-il cet art à exprimer des passions ! Du moins, Michel-Ange lui ferait-il exprimer des états de l'âme. » C'était la venue d'Auguste Rodin que Stendhal annonçait ainsi. Mais l'eût-il aimé, lui, qui n’aimait que Canova ?

Le Journal, 2 juin 1895