Page:Des artistes, première série, 1885-1896, peintres et sculpteurs, 1922.djvu/256

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de petits groupes, de petites figures d'une passion étrange et fleuve, qui le déroutent dans ses goûts traditionnels du joli bête et de l'insignifiant ; tout un monde de souffrance et de volupté, hurlant sous le fouet des luxures, se ruant désespérément au néant des possessions charnelles, aux étreintes farouches des amours damnées et des baisers infâmes. Les corps marqués du mal originel, du mal de vivre en proie à la fatalité de la douleur, se cherchent, se poursuivent, s'enlacent, se pénètrent, spasmes et morsures, et retombent, épuisés, vaincus dans cette lutte éternelle de la bête humaine contre l'idéal inassouvissable et meurtrier.

Tout l'art de Rodin est dans ce petit bronze, plus douloureux que n'importe lequel des poèmes de Baudelaire. Le buste droit, la gorge en avant et fleurie de chair tentatrice, le corps horizontal et vibrant comme une flèche qui déchire l'air, la face cruelle, inexorable, la Femme est emportée à travers les espaces. Elle est belle de cette inétreignable beauté qu'ont les chimères que nous poursuivons et les rêves que nous n'atteindrons jamais. Renversé sur ce corps horizontal, est le corps d'un adolescent, anatomie de souffrance. Ses bras repliés en arrière cherchent à étreindre ce torse implacable; ses jambes qui pendent voudraient arrêter ce corps qui fuit. Nul enlacement de ces deux êtres : aucune partie de ces deux vies charnelles ne se joint. Et cependant tout,