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LES PLEURS.

À mon livre fermé moi je lisais toujours ;
Car sur mon front baissé toute une ame était peinte !

Te voilà donc heureux ! je sais donc tout prévoir !
Je ne crains donc plus rien… rien, que de te revoir :
Heureux par tant d’objets, je respire moi-même ;
Sur deux cœurs à la fois je n’ai plus à gémir ;
Je dirai : Quel bonheur ! ce n’est plus moi qu’il aime ;
D’autres ont pris mes pleurs… et je pourrai dormir !

Reste à ce doux éclat qui rayonne autour d’elles ;
Leur front se baigne encor dans l’air pur du matin,
Et je leur sais gré d’être belles.
Si ces fleurs d’un moment consolent ton destin :
Mais le voir ! ah ! c’est trop. N’attends pas l’impossible ;
Laisse au ruisseau désert son cours triste et paisible ;
Ne viens pas me surprendre, et, d’un regard glacé,
Me défendre de vivre au moins dans le passé !
Ne viens pas dans mes traits qu’au tourment décolore,
Plus voilés, plus rêveurs encore,
Oh ! ne viens pas compter, malgré moi découverts,
Les pleurs que j’ai versés, les jours que j’ai soufferts !
Laisse-moi m’isoler dans l’oubli de mes peines ;
D’un esclave qui dort ne heurte pas les chaînes ;
Si je dois au passé quelques éclairs heureux,
Il est temps de mourir à ce qu’il eut d’affreux :