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LES PLEURS.

Happe sa douce amorce, et que ton aile, enfant,
Joue avec ce flambeau ; rien ne te le défend.
Né dans le feu, ton vol en cercles s’y déploie,
Et sème des anneaux de lumière et de joie.
Le fil de tes hasards est court, mais il est d’or !
Nul regret ne pendra lugubre sur ton sort ;
Nul adieu ne viendra gémir dans l’harmonie
De ton jour de musique et d’ivresse infinie ;
Ce que tu vas aimer durera tes instans ;
Tu ne verras le deuil ni les rides du temps.
Les feuillets de ton sort sont des feuilles de rose
Fiévreuse de soleil et d’encens, quel destin !
Atome délecté dans le miel qui l’arrose,
Sonne ta bien-venue au banquet du matin.

Je t’envie ! et Dieu t’aime, innocent éphémère ;
Tu nais sans déchirer le beau flanc de ta mère ;
Ce penser triste et doux ne te fait point de pleurs :
Il ne t’impose pas comme un remords de vivre.
Tu n’as point à traîner ton cœur lourd comme un livre.
Heureux rien ! ta carrière est au bout de ces fleurs.
Bois ta vie à leur ame, et que ta prompte haleine
Goûte à tous les parfums dont s’abreuve la plaine.
Hâte-toi : si le ciel commence à se couvrir,
Une goutte de pluie inondera tes ailes :
Avant d’avoir vécu, tu ne veux pas mourir,
Toi ! Les fleurs vont au soir : ne tombe qu’après elles.