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LES PLEURS.

L’heure qui dit : silence ! et qui défend qu’on veille,
Ne jette loin de moi sa voix dans ton oreille ;
Et tu ris quand j’écoute, ou que, d’un doigt prudent,
Je te montre minuit qui passe en nous grondant :
Tu ris ! tu ne crois pas, et moi, je veux y croire
À ces contes mêlés d’une tragique histoire ;
J’en sais mille ! et le soir j’en invente ; et ma peur
Les sème sur ta route où mon âme regarde,
Où je vais dans mon rêve, élan doux et trompeur,
T’enlacer de mes bras et te crier : Prends garde !

Vois-tu, mon bien-aimé, l’ombre qui te poursuit,
Qui tremble, qui t’arrête où l’onde est dangereuse,
Qui rend tes pas moins sûrs et l’eau plus ténébreuse ?
C’est moi, triste ! Ah ! tu sais, tout est triste la nuit :
Ses astres sont voilés, son silence a des plaintes,
L’eau ressemble à des pleurs ;
Elle rend la mémoire ou l’effroi des malheurs ;
Et l’amour isolé marche sur mille craintes !

Juge quand un orage éclate au haut des airs,
Quand j’entends l’hirondelle affronter les éclairs,
Quand le chien prophétique hurle son noir présage,
Et que sur ta maison s’arrête un lourd nuage ;
Plains-moi : l’air qui te manque affaisse mes genoux ;
Sous l’effroi qui m’étouffe, et m’enchaîne, et me glace,