Enfin tandis qu’on redoublait volontiers les consonnes au féminin et ailleurs, Descartes préfère la lettre simple, au moins pour le t et pour l’n, et déjà aussi pour l’l et le p, quoique non pas encore pour f, c, g.
En somme, malgré bien des incertitudes et des oscillations, l’orthographe de Descartes est le plus souvent conforme au génie même de la langue française et au génie de l’auteur. Tantôt il abandonne une uniformité excessive qui donnait lieu à la confusion (ant partout, comme terminaison des noms, adjectifs et adverbes ; la lettre s seule et unique marque du pluriel dans tous les cas), et il introduit dans les formes des mots une variété favorable à la « clarté » et à la « distinction »[1]. Tantôt il recherche la simplicité, qui rend aussi les formes plus claires et plus distinctes, soit en supprimant des consonnes superflues, comme t, d, p, devant l’s qui s’y joint, soit en évitant de redoubler un t et un n, et parfois aussi un l et un p, que rien n’exige, ni le besoin de marquer le féminin, ni la prononciation. Quant à l’étymologie latine, on ne trouve chez Descartes aucune affectation pédantesque de la faire ressortir, en ajoutant des lettres inutiles aux mots français ; que de fois au contraire il supprime un b, un g, un s, que maintenaient ses contemporains ! Cependant il a renoncé de bonne heure à la forme tans, pour écrire tems, mais sans y intercaler le p de tempus, bien qu’il ait une tendance marquée à incorporer le p de corpus dans corps ; quant à un autre mot, l’aer (qu’on trouve dans ses plus anciens autographes, f. 48 verso, l. 22 et 28, novembre 1629), il y a vite renoncé pour écrire l’air.
L’orthographe de Descartes vaut donc la peine d’être exactement reproduite dans une édition nouvelle de ses œuvres, non pas seulement pour la plus grande joie des amateurs de vieux langage, et pour la satisfaction bien légitime des philologues, mais parce qu’on
- ↑ Qu’on ne s’étonne pas, si nous faisons intervenir ici la philosophie. Lannel, dans la lettre citée plus haut (p. lxxxvi, etc., notes), et qui date de 1625, débutait par cette déclaration de principe, p. 40 : « le suis bien aise de ce que vous approuuiez mon Ortografe, et i’estime que la nouueauté ne doit estre suspecte qu’en ce qui concerne la religion et les loix fondamentales d’vn Etat, mais qu’en toutes les autres choses qui n’en dependent point, il faut tourner les yeux du costé de la raison, dés qu’elle commence à parestre, et l’embrasser aussi tost qu’elle nous touche. »