Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, I.djvu/195

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ceſſaires pour exprimer toutes les autres choſes qui tombent en l’eſprit des hommes. Și cela eſtoit trouué, ie ne doute point que cette langue n’euſt bien-toſt cours parmy le monde ; car il y a force gens qui 5 employeroient volontiers cinq ou ſix iours de temps pour ſe pouuoir faire entendre par tous les hommes. Mais ie ne croy pas que voſtre autheur ait penſé à cela, tant pource qu’il n’y a rien en toutes ſes propoſitions qui le témoigne, que pource que l’inuention de cette 10 langue depend de la vraye Philoſophie ; car il eſt impoſſible autrement de denombrer toutes les penſées des hommes, & de les mettre par ordre, ny ſeulement de les diſtinguer en forte qu’elles ſoient claires & ſimples, qui eſt à mon aduis le plus grand ſecret 15 qu’on puiſſe auoir pour acquerir la bonne ſcience. Et ſi quelqu’vn auoit bien expliqué quelles ſont les idées ſimples qui ſont en l’imagination des hommes, deſquelles ſe compoſe tout ce qu’ils penſent, & que cėla fuſt receu par tout le monde, i’oſerois eſperer enſuite 20vne langue vniuerselle fort aiſée à aprendre, à prononcer & à écrire, & ce qui eſt le principal, qui aideroit au iugement, luy repreſentant ſi diſtinctement toutes choſes, qu’il luy ſeroit preſque impoſſible de ſe tromper ; au lieu que tout au rebours, les mots que 25 nous auons n’ont quaſi que des ſignifications confuſes, auſquelles l’eſprit des hommes s’eſtant accoutumé de longue main, cela eſt cauſe qu’il n’entend preſque rien parfaitement. Or ie tiens que cette langue eſt poſſible, & qu’on peut trouuer la ſcience de qui elle dépend, 30 par le moyen de laquelle les paysans pourroient mieux iuger de la verité des choſes, que ne font main-