Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, I.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trauail ſert à embellir le lieu de ma demeure, & à faire que ie n’y aye manque d’aucune choſe. Que s’il y a du plaiſir à voir croître les fruits en vos vergers, & à y eſtre dans l’abondance iuſques aux yeux, penſez-vous qu’il n’y en ait pas bien autant, à voir venir icy des 5 vaiſſeaux, qui nous aportent abondamment tout ce que produiſent les Indes, & tout ce qu’il y a de rare en l’Europe. Quel autre lieu pouroit-on choiſir au reſte du monde, où toutes les commoditez de la vie, & toutes les curioſitez qui peuuent eſtre ſouhaitées, ſoient ſi 10 faciles à trouuer qu’en cettuy-cy ? Quel autre pays où l’on puiſſe iouyr d’vne liberté ſi entiere, où l’on puiſſe dormir auec moins d’inquietude, où il y ait toujours des armées ſur pied exprés pour nous garder, où les empoiſonnemens, les trahiſons, les calomnies ſoient 15 moins connuës, & où il ſoit demeuré plus de reſte de l’innocence de nos ayeuls ? Ie ne ſçay comment vous pouuez tant aimer l’air d’Italie, auec lequel on reſpire ſi ſouuent la peſte, & où touſiours la chaleur du iour eſt inſuportable, la fraiſcheur du ſoir mal 20 ſaine, & où l’obſcurité de la nuit couure des larcins & des meurtres. Que ſi vous craignez les hyuers du ſeptentrion, dites-moy quelles ombres, | quel évantail, quelles fontaines vous pouroient ſi bien preferuer à Rome des incommoditez de la chaleur, comme vn 25 poëſle & vn grand feu vous exemteront icy d’auoir froid. Au reſte, ie vous diray que ie vous attens auec vn petit recueil de réveries, qui ne vous feront peut-eſtre pas deſagreables, & ſoit que vous veniez, ou que vous ne veniez pas, ie ſeray touſiours 30 paſſionement, etc.