Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, I.djvu/627

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ſemble eſtre dangereuſe, portant qu’il faut ſe tenir aux opinions qu’on a vne fois determiné de fuiure, quand elles ſeroient les plus douteuſes, tout de meſme que ſi elles eſtoient les plus aſſeurées : car ſi elles ſont 5 fauſſes ou mauuaiſes, plus on les ſuiura, plus on s’engagera dans l’erreur ou dans le vice.

| 2. La troiſiéme regle[1] eſt plûtoſt vne fiction pour ſe flatter & ſe tromper, qu’vne reſolution de Philoſophe, qui doit mépriſer les choſes poſſibles, s’il luy 10 eſt expedient, ſans les feindre impoſſibles ; & vn homme d’vn ſens commun ne ſe perſuadera iamais que rien ne ſoit en ſon pouuoir que ſes penſées.

3. Le premier principe de ſa philoſophie eſt : Ie penſe, donc ie ſuis[2]. Il n’eſt pas plus certain que tant 15 d’autres, comme celuy-cy : ie reſpire, donc ie ſuis ; ou cet autre : toute action preſuppoſe l’exiſtence. Dire que l’on ne peut reſpirer ſans corps, mais qu’on peut bien penſer ſans luy, c’eſt ce qu’il faudroit monſtrer par vne claire demonſtration ; car bien qu’on ſe puiſſe 20 imaginer qu’on n’a point de corps (quoy que cela ſoit aſſez difficile), & qu’on vit ſans reſpirer, il ne s’enſuit pas que cela ſoit en effet, & qu’on puiſſe viure ſans reſpirer.

4. Il faudroit donc prouuer que l’ame peut penſer 25 ſans le corps ; Ariſtote le preſupoſe à la verité en vn ſien axiome, mais il ne le prouue point. Il veut que l’ame puiſſe agir ſans organes, d’où il conclud qu’elle peut eſtre ſans eux ; mais il ne prouue pas le premier, qui eſt contredit par l’experience : car on voit que

  1. Disc, de la Meth., p. 26.
  2. Ib., p. 33.