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Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, III.djvu/406

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noſtre imagination ? & comment pourroit-il aſſurer que ces attributs, & vne infinité d’autres qui nous expriment ſa grandeur, luy conuiennent, s’il n’en auoit l’idée ? Il faut donc demeurer d’accord qu’on a l’idée de Dieu, & qu’on ne peut pas ignorer quelle eſt 5 cette idée, ny ce que l’on doit entendre par elle ; car ſans cela nous ne pourrions du tout rien connoiſtre de Dieu. Et l’on auroit beau dire, par exemple, qu’on croit que Dieu eſt, & que quelque attribut ou perfection luy appartient, ce ne ſeroit rien dire, puiſque 10 cela ne porteroit aucune ſignification à noſtre eſprit ; ce qui ſeroit la choſe la plus impie & la plus impertinente du monde.

Pour ce qui eſt de l’Ame, c’eſt encore vne choſe plus claire. Car, n’eſtant, comme i’ay demonſtré, qu’vne 15 choſe qui penſe, il eſt impoſſible que nous puiſſions iamais penſer à aucune choſe, que nous n’ayons en meſme temps l’idée de noſtre Ame, comme d’vne choſe capable de penſer à tout ce que nous penſons. Il eſt vray qu’vne choſe de cette nature ne ſe ſçauroit 20 imaginer, c’eſt à dire, ne ſe ſçauroit repreſenter par vne image corporelle. Mais il ne s’en faut pas eſtonner ; car noſtre imagination n’eſt propre qu’à ſe repreſenter des choſes qui tombent ſous les ſens ; et pour ce que noſtre Ame n’a ny couleur, ny odeur, ny ſaueur, ny 25 rien de tout ce qui appartient au corps, il n’eſt pas poſſible de ſe l’imaginer, ou d’en former l’image. Mais elle n’eſt pas pour cela moins conceuable ; au contraire, comme c’eſt par elle que nous conceuons toutes choſes, elle eſt auſſi elle ſeule plus conceuable 30 que toutes les autres choſes enſemble.