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Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IV.djvu/299

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deſſeins & les empeſche de reüſſir, nous aurons au moins la ſatisfaction de n’auoir rien perdu par noſtre faute, & ne lairrons pas de iouir de toute la beatitude naturelle dont l’acquiſition aura eſté en noſtre pouuoir.

Ainſy, par exemple, la cholere peut quelquefois exciter en nous des deſirs de vengeance ſi violens qu’elle nous fera imaginer plus de plaiſir a chaſtier noſtre ennemi, qu’a conſeruer noſtre honneur ou noſtre vie, & nous fera expoſer imprudemment l’vn & l’autre pour ce ſuiet. Au lieu que, ſi la raiſon examine quel eſt le bien ou la perfection ſur laquelle eſt fondé ce plaiſir, qu’on tire de la vengeance, elle n’en trouuera aucune autre (au moins quand cete vengeance ne ſert point pour empeſcher qu’on ne nous offence derechef), ſinon que cela nous fait imaginer que nous auons quelque ſorte de ſuperiorité & quelque auantage au deſſus de celuy dont nous nous vengeons. Ce qui n’eſt ſouuent qu’vne vaine imagination, qui ne merite point d’eſtre eſtimée a comparaiſon de l’honneur ou de la vie, ny meſme a comparaison de la ſatisfaction qu’on auroit de ſe voir maiſtre de ſa cholere, en s’abſtenant de ſe vanger.

Et le ſemblable arriue en toutes les autres paſſions ; car il n’y en a aucune qui ne nous repreſente le bien auquel elle tend, auec plus d’esclat qu’il n’en merite, & qui ne nous face imaginer des plaiſirs beaucoup plus grands, auant que nous les poſſedions, que nous ne les trouuons par apres, quand nous les auons. Ce qui fait qu’on blaſme communement la volupté, pour ce qu’on ne ſe ſert de ce mot que pour ſignifier des[1]

  1. des] de ſaux