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53-55. Méditations. — Quatrième. 4?

me trompe, puifqu'en toute fraude & tromperie il le rencontre quelque forte d'imperfection. Et quoy qu'il femble que pouuoir tromper foit vne marque de fubtilité, ou de puiffance, toutesfois vouloir tromper témoigne fans doute de la foiblefle ou de la ma- lice. Et, partant, cela ne peut fe rencontrer en Dieu.

En après l'expérimente en moy-meime vne certaine puiffance de iuger, laquelle fans doute i'ay receuë de Dieu, de mefme que tout le refle des chofes que ie | polfede; | & comme il ne voudroit pas 62 m'abufer, il efl certain qu'il .le me l'a pas donnée telle que ie puiffe iamais faillir, lorfque l'en vferay comme il faut. Et il ne refleroit aucun doute de cette vérité, fi l'on n'en pouuoit, ce femble, tirer cette confequence, qu'ainfi donc ie ne me puis iamais trom- per; car, fi ie tiens de Dieu tout ce que ie poffede, & s'il ne m'a point donné de puiffance pour faillir, il femble que ie ne me doiue iamais abufer. Et de vray, lors que ie ne penfe qu'à Dieu, ie ne découure en moy aucune caufe d'erreur ou de fauU'eté ; mais puis après, reuenant à moy, l'expérience me fait connoiflre que ie fuis neantmoins fujet à vne infinité d'erreurs, defquelles recherchant la caufe de plus prés, ie remarque qu'il ne fe prefente pas feulement à ma penfée vne réelle & pofitiue idée de Dieu, ou bien d'vn eflre fouuerainement parfait, mais auffi, pour ainfi parler, vne certaine idée negatiue du néant, c'eft à dire de ce qui efl infiniment éloigné de toute forte de perfedlion; & que ie fuis comme vn milieu entre Dieu &i le néant, c'efl à dire placé de telle forte entre le fouuerain eftre & le non eftre, qu'il ne fe rencontre, de vray, rien en moy qui me puiffe conduire dans l'erreur, en tant qu'vn fouuerain eflre m'a produit; mais que, fi ie me confidere comme participant en quelque façon du néant ou du non eftre, c'eft à dire en tant que ie ne fuis pas moy-mefme le fouuerain eftre, ie me trouue expofé à vne in- finité de manquemens, de façon que ie ne me dois pas eftonner û ie me trompe.

I Ainfi ie connois que l'erreur, en tant que telle, n'eft pas quelque 63 chofe de réel qui dépende de Dieu, mais que c'eft feulement vn défaut ; & partant, que ie n'ay pas befoin pour faillir de quelque puiffance qui m'ait efté donnée de Dieu particulièrement pour cet effed, mais qu'il arriue que ie me trompe, de ce que la puiflance que Dieu m'a donnée pour difcerner le vray d'auec le faux, n'eft pas en moy infinie.

Toutesfois cela ne me fatisfait pas encore tout à fait; j car l'er- reur n'eft pas vne pure négation, c'eft à dire, n'eft pas le fimple défaut ou manquement de quelque perfedion qui ne m'eft point

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