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Œuvres de Descartes

quer, que vous ſentiés, par l’entremiſe de ce baſton, les diuers obiects qui ſe rencontroyent autour de vous, & meſme que vous pouuiés diſtinguer s’il y auoit des arbres, ou des pierres, ou du ſable, ou de l’eau, ou de l’herbe, ou de la boüe, ou quelqu’autre choſe de ſemblable. Il eſt vray que cete ſorte de ſentiment eſt vn peu confuſe & obſcure, en ceus qui n’en ont pas vn long vſage ; mais conſiderés la | en ceus qui, eſtant nés aueugles, s’en ſont ſeruis toute leur vie, & vous l’y trouuerés ſi parfaite & ſi exacte, qu'on pourroit quaſi dire qu’ils voyent des mains, ou que leur baſton eſt l’organe de quelque ſixieſme ſens, qui leur a eſté donné au defaut de la veüe. Et pour tirer vne comparaiſon de cecy, ie deſire que vous penſiés que la lumiere n’eſt autre choſe, dans les corps qu’on nomme lumineux, qu’vn certain mouuement, ou vne action fort promte & fort viue, qui paſſe vers nos yeux, par l’entremiſe de l’air & des autres corps tranſparens, en meſme façon que le mouuement ou la reſiſtence des corps, que rencontre cet aueugle, paſſe vers ſa main, par l’entremiſe de ſon baſton. Ce qui vous empeſchera d’abord de trouuer eſtrange, que ceſte lumiere puiſſe eſtendre ſes rayons en vn inſtant, depuis le ſoleil iuſques a nous : car vous ſçaués que l’action, dont on meut l’vn des bouts d’vn baſton, doit ainſy paſſer en vn inſtant iuſques a l’autre, & qu’elle y deuroit paſſer en meſme ſorte, encores qu’il y auroit plus de diſtance qu’il n’y en a, depuis la terre iuſques aux cieux. Vous ne trouuerés pas eſtrange non plus, que par ſon moyen nous puiſſions voir toutes ſortes de couleurs ; & meſme