Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, X.djvu/512

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous, en ce que vous ne voyés pas qu’il vous manque tant de choſes, comme nous faiſons.

Eudoxe. — Eſt il poſſible, Epiſtemon, qu’eſtant ſçavant comme vous eſtes, vous vous puiſſiés perſuader, qu’il y ait une maladie ſi univerſelle en la nature, ſans 5 qu’il y ait auſſi quelque remede pour la guerir ? Quant à moy, il me ſemble que, comme il y a en chaſque terre aſſés de fruits & de ruiſſeaux | pour appaiſer la faim & la ſoif de tout le monde, il y a de meſme aſſés de verités qui ſe peuvent connoiſtre en chaque 10 matiere, pour ſatisfaire pleinement à la curioſité des ames reglées, & que le corps des hydropiques n’eſt pas plus éloigné de ſon juſte temperament, que l’eſprit de ceux-la qui ſont perpetuellement travaillés d’une curioſité inſatiable. 15

Epistemon. — J’ay bien appris autrefois que noſtre deſir ne ſe peut eſtendre naturellement juſques aux choſes qui nous paroiſſent eſtre impoſſibles, & qu’il ne le doit pas juſque à celles qui font vicieuſes ou inutiles[1] ; mais il y a tant de choſes à ſçavoir, qui nous 20 ſemblent poſſibles, & qui ſont non ſeulement honneſtes & agreables, mais encore très neceſſaires pour la conduite de nos actions, que je ne ſçaurois croyre que jamais perſonne en ſçache tant, qu’il ne luy reſte toujours de très juſtes occaſions[2] pour en deſirer 25 davantage.

  1. La traduction latine ne donne pas cette seconde partie, l. 18-20 : « & qu’il… inutiles. » Lacune évidemment ; car on trouve ensuite les deux contre-parties : « quæ nobis poſſibiles apparent, quæque non tantùm honeſtæ & jucundæ ſunt, ſed præterea admodum utiles (sic) ad vitam noſtram inſtituendam. » (Page 70, l. 9-11.)
  2. Trad. lat. : « rationes ». (Page 70, l. 12.) Lire sans doute : « raiſons ».