Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, X.djvu/522

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conſiderer avec moy, quelles ſont les plus certaines & les plus faciles à connoiſtre, de toutes les verités que les hommes puiſſent ſçavoir.

Poliandre. — Y a-t-il quelqu’un qui < puiſſe > douter[1] que les choſes ſenſibles, j’entens celles qui ſe voyent & qui ſe touchent, ne ſoyent beaucoup plus aſſurées que toutes les autres ? Pour moy, je ſerois fort eſtonné, ſi vous me faiſiés voir auſſy clairement quelque choſe de ce qui ſe dit de Dieu ou de noſtre ame.

Eudoxe. — C’eſt pourtant ce que j’eſpere ; & je trouve eſtrange que les hommes ſoient ſi credules, que d’appuier leur ſcience ſur la certitude des ſens, puiſque perſonne n’ignore qu’ils trompent quelquefois, & que nous avons juſte raiſon de nous deſſier tousjours de ceux qui nous ont une fois trompés.

Poliandre. — Je ſçay bien que les ſens trompent quelquefois, s’ils ſont mal diſpoſés, comme lorſque toutes les viandes ſemblent ameres à un malade ; ou bien trop eſloignés, comme quand nous regardons les eſtoiles, qui ne nous paroiſſent jamais ſi grandes qu’elles ſont ; ou, generalement, lorſqu’ils n’agiſſent pas en liberté ſelon la conſtitution de leur nature. Mais tous leurs deffauts font fort aiſés à connoiſtre, & ils n’empeſchent pas que je ne fois maintenant bien affeuré, | que je vous voy, que nous nous promenons en ce jardin, que le ſoleil nous eſclaire, & bref que tout ce qui paroiſt communement à mes ſens eſt veritable.

  1. Le MS. donne « douter ». C’est pourquoi nous ajoutons « puiſſe ». Lire peut-être « doute ». Trad, lat. : « Reperiturne quiſpiam, qui dubitet… » (Page 75, l. 23.)