opposée à celle des Anciens comme à celle du moyen âge, ou plutôt les réconciliant toutes deux. L’antiquité avait trop cru sur la foi d’Aristote, que la science, et c’était là sa noblesse et sa dignité, ne devait être qu’une activité de l’esprit, en lui-même et pour lui-même, la plus haute de toutes d’ailleurs, pure contemplation, sans effet pratique au dehors : la métaphysique n’était-elle point la première de toutes les sciences, parce que la plus inutile ? Le moyen âge, au contraire, avait surtout cru à l’art, au « grand art » : art secret d’ailleurs, et pour lequel on ne craignait pas d’évoquer les puissances surnaturelles ; le but était d’agir sur la nature, de transformer des corps, peut-être d’en créer : l’alchimie ne rêvait rien moins que la transmutation des métaux, la production artificielle de l’or, et qui sait ? peut-être la création de la vie elle-même. Mais ce but, elle s’imaginait l’atteindre par tâtonnements ; elle cherchait au hasard et sans méthode. Et il en était ainsi de tous les arts particuliers : chacun avait ses procédés et ses tours de main, et réussissait parfois à faire des chefs-d’œuvre, mais par des moyens tout empiriques ; il fallait pour cela le génie d’un artiste, ou tout au moins l’habileté d’un artisan. On ne pensait pas que la science pût prescrire des règles au travail humain, le rendre à la fois plus simple et plus fécond, et le mettre, avec un peu d’étude, à la portée de tous. L’idéal de Descartes sera d’unir la conception de la Science comme dans l’antiquité, et celle de l’Art comme au moyen âge, étroitement et définitivement ; c’est là, en effet, la double condition du progrès.
A cet égard, son ambition n’a point de bornes, et rien vraiment ne lui paraît impossible. Ne parle-t-il pas d’abord d’un Projet de Science universelle qui puisse élever notre nature à son plus haut degré de perfection[1] ? Ce titre primitif du Discours de la Méthode ne fut pas maintenu, il est vrai. Mais notre philosophe ne renonce pas cependant à un tel rêve : il l’affirme tranquillement, audacieusement, avec une absolue
- ↑ Tome 1, p. 339, l. 18-25. Voir ci-avant, p. 183.