Princesse Elisabeth. 421
ments de l'âme (nous dirions aujourd'hui des sensations), de les prendre, dis-je, pour des qualités des objets eux-mêmes, et de les transporter, de les réaliser dans ces objets. De même la grande erreur en morale est de nous fier trop aussi à ce que nous éprouvons d'agréable ou de pénible, en un mot à nos passions : elles nous induisent à attribuer indûment les quali- tés de bonhes et de mauvaises aux causes extérieures de ces passions, c'est-à-dire à des choses qui en elles-mêmes ne sont rien moins que telles. Il convient donc d'examiner aussi nos passions, de ne voir en elles que ce qu'elles sont, à savoir de pures modifications de nous-mêmes, sans renseignements dignes de foi sur la valeur des objets, et de dissiper le mirage trompeur qu'elles répandent sur la nature au point de vue de ce qui est bon ou mauvais, comme les perceptions au point de vue du vrai et du faux. Nous étudierons en son lieu ce petit Traité des passions; mais dès maintenant il importait d'en marquer la place dans l'œuvre de Descartes, et l'intérêt qu'il présente à la fois pour sa physique, dont il est une suite et une dépendance, et pour sa morale, dont il est une préparation nécessaire et comme une introduction.
Cette série de lettres morales fut interrompue brusquement par un événement qui bouleversa toute la petite cour palatine à La Haye : à savoir la conversion au catholicisme du prince Edouard, condition de son mariage en France avec une princesse catholique, Anne de Gonzague. La douleur d'Elisabeth montre combien était sincère son attachement au protestantisme, et combien profond en elle le sentiment religieux *. Mais par contre, la lettre que lui écrivit Descartes, montre aussi qu'il était loin de prendre la chose au tragique. D'abord, en sa qualité de catholique, il ne pouvait pas désapprouver. Puis le prince Edouard n'avait fait qu'imiter, en sens inverse, ses ancêtres, convertis jadis du catholicisme au protestantisme : envisagé ainsi dans la suite des temps, un changement de religion ne
a. Tome IV, p. 335-336 : lettre du 3o nov. 1645. Voir aussi p. 337-338 et p. 667-668. Réponse de Desca'-tes, janv. 1646 : ibid., p. 35i-352.
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