pouvait paraître un acte de justice (ainsi plus tard, à Fontainebleau, la reine Christine de Suède fera exécuter sous ses yeux Monaldeschi) ; et elle aurait été jusqu’à approuver son frère, sinon jusqu’à s’associer au complot et armer elle-même sa main.
Mais on peut donner aussi de ce voyage en Brandebourg une autre explication. Élisabeth s’occupait activement des intérêts de sa famille ; elle pouvait les servir auprès de l’électeur de Brandebourg, comme faisaient ses frères à la cour d’Angleterre, et même le prince Édouard à la cour de France. Et de fait, nous la verrons l’année suivante sur le point de passer en Suède, auprès de la reine Christine, fille de Gustave-Adolphe, afin d’intéresser celle-ci aux affaires de la maison palatine : elle demandera là-dessus les instructions de sa mère et de son frère aîné, restés en Hollande, et même l’avis de Descartes [1]. Peut-être donc le voyage à Berlin, annoncé d’ailleurs comme une promenade en compagnie d’une de ses jeunes sœurs, sous la conduite d’une parente qui était presque une tante, n’avait-il d’abord qu’un but politique ; et s’il se prolongea outre mesure, c’est qu’Élisabeth se plaisait mieux dans le Brandebourg qu’en Hollande, où la petite cour de la reine de Bohême, bien qu’on y jouât quelquefois du Corneille, n’offrait pas tous les jours un modèle de bon goût ni de délicatesse [2].
- ↑ a. Tome V, p. 195, l. 13 ; p. 210, l. 3 ; p. 225-226, et p. 232, l. 10-13 : lettres de Juin à octobre 1648.
- ↑ b. Voici, à ce sujet, quelques textes curieux, empruntés à la correspondance
(diplomatique) de notre Brasset :
Lettre à M. de La Thuillerie, 29 août 1645 : anecdote contée à Brasset par la reine de Bohême sur une certaine comtesse de Levestein, « laquelle, estant l’autre iour à Breda, en la Cour d’Angleterre & d’Orange, eut aprez auoir trop beu de double biere vne collique qui la hasta de sortir du presche pour ne pas polluer le temple. Voila ce que vous aurez de cette bonne princesse, auec vne forte recommandation & souhaict que vous n’alliez point à Stokholm. » (Paris, Bibl. Nat., MS. fr. 17897, f° 425.)
À M. d’Aiguebère, 31 août 1649 : « La Reyne de Bohesme est en sa maison de Rennes, tandiz que l’on nectoye les ordures de celle de la Haye, où il y a sept ans que le frottage de Hollande n’a operé. À son arriuee en ce beau lieu la, elle se donna tellement au cœur ioye de manger des fruictz qu’elle en ioüa du baston à deux boutz. Mais s’estant bien escuree, elle en a vsé du depuis liberalement & sainement. » (Ibid., 17901, f° 610.)
À M. de La Thuillerie, 21 sept. 1649 : « … Nostre Cour est renforcee de celle de la Reyne de Bohesme, qui n’a non plus changee en son voyage de Gueldres, que M. son filz en celuy d’Angletre. Et pour preuue, ie vous diray, Monsieur, qu’ayant à son arriuee enuoyé sçauoir de ses nouuelles, la responce fut qu’elle auoit impatience de me veoyr pour m’en compter. Que fut-ce ? C’est que la pauure contesse de Leuestein, ioüant aux cartes auec Creuent, adossee contre la portiere du carrosse, vn cahot la feit ouurir, & la pauure dame feit le chesne fourchu. Voyla de quoy fut la (sic) triomphe… » (Ibid., f° 649.)
À M. de La Cour (résident de France à Osnabruck), 15 nov. 1649 : « … Vous sçauez, Messieurs, les incommoditez de la Maison palatine, & ie veoy auec beaucoup d’autres les souffrances de la Reyne de Bohesme, reduicte quasy à ne pas auoir du pain pour sa Cour… » (Ibid., f° 791.)
À M. de La Thuillerie, 9 déc. 1649 : « … La Reyne de Bohesme veut que vous sçachiez que, se trouuant pressee du derriere, elle donna bien de l’exercice à sa femme de chambre. Ie ne vous sçaurois dire plus ciuilement, Monsieur, ce que vous entendrez assez. » (Ibid., f° 856.)