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LA JEUNE FILLE

Ce qu’elle dit à ses sœurs, Eugénie et Cécile, elle le répète surtout à soi-même avec une insistance qui pourrait à la longue devenir monotone, si le tissu de ses lamentations n’était abondamment broché d’or et d’argent par des vers comme ceux-ci :

— Il savait tant de mots pour me rendre sensible.
— Souviens-toi que je pleure, et ne le dis qu’à lui.
— Du charme de ses yeux, il m’accablait encore.
— Toi qui, sans me comprendre, as passé près de moi,
Quoi, tu cherchais l’amour et j’étais devant toi !
— Jours fiévreux pleins de bruits que nuls bruits ne défont !
— Moi seule en mon chemin et pleurante au milieu.
— Au fond de mon miroir, je vois errer son ombre.
— Invente un doux symbole où je me cacherai…
Cette ruse entre nous, encor… C’est la dernière !
— D’un cœur de femme il faut avoir pitié ;
Quelque chose d’enfant s’y mêle à tous les âges !
— Pour aider tes chagrins, j’en ai fait mes douleurs.
— Toi qui ris de nos cœurs prompts à se déchirer,
Rends-nous notre innocence ou laisse-nous pleurer !
— Va retrouver dans l’air la volupté de vivre !
— Inexplicable cœur, énigme de toi-même
Tyran de ma raison, de la vertu que j’aime,
Ennemi du repos, amant de la douleur,
Que tu me fais de mal, inexplicable cœur !

Pourquoi l’a-t-il abandonnée ? La pauvre Marceline ne cesse de se le demander ; et, chose admirable, pas une minute elle n’attribue l’inconstance de son amant à des motifs indignes : satiété,